Fraude au travail détaché : François Rebsamen met la pression sur les préfets

 

Face au Comité national de lutte contre les fraudes, mardi 23 juin, le ministre du Travail François Rebsamen a annoncé avoir donné aux préfets « des consignes de grande fermeté » concernant la fraude au travail détaché. Dès septembre, ils devront organiser chaque mois 1 000 opérations de sensibilisation et de contrôles. D’autres actions seront par ailleurs menées.

 

C’est un ministre qui a décidé de prendre à bras le corps le problème de la fraude au détachement de salariés. Et pour cause, il représente 380 millions de manque à gagner dans l’Hexagone, selon la Cour des comptes, met à mal des pans entiers de l’économie, notamment le BTP et détruit des emplois. Conscient de l’ampleur de la situation, le gouvernement a engagé un certain nombre de mesures. Dernières en date, lors du conseil sur l’emploi dans les TPE et PME le 9 juin, un renforcement des contrôles et sanctions, annoncé par le Premier ministre, mais surtout les donneurs d’ordre seront solidairement, directement et pécuniairement responsables vis-à-vis de leurs sous-traitants qui pratiquent le détachement. Il ne leur suffira donc plus de faire la preuve qu’ils ont demandé à leurs sous-traitants de respecter la loi.

Le ministre du Travail vient d’ajouter une nouvelle marche à l’édifice en annonçant le 23 juin la mobilisation des services du ministère du Travail,  à qui il a fixé des objectifs précis en matière d’opérations de sensibilisation et de contrôle. 1 000 opérations devront ainsi être réalisées par mois dès septembre.

« Ces opérations ont déjà démarré, y compris le week-end et en dehors des heures ouvrables, explique au Moniteur Yves Calvez, directeur adjoint à la Direction du Travail en charge de l’animation et du pilotage des services territoriaux. Il faut être le plus possible dans une démarche de sensibilisation à travers des réunions d’informations avec les acteurs du bâtiment sur les nouvelles règles et sanctions encourues. Aujourd’hui, nous réalisons environ 30% d’actions de sensibilisation et 70% de contrôles, mais logiquement une fois l’information délivrée, nous irons de plus en plus dans le contrôle. »

L’inspection du travail est la cheville ouvrière du dispositif. « C’est elle qui a une visibilité des chantiers au quotidien, reçoit les déclarations de détachement, a la meilleure connaissance du terrain, explique Yves Calvez. Elle peut décider d’opérations autonomes ou d’actions dans le cadre du Codaf (Comité opérationnel départemental anti-fraude, présidé par le préfet et le procureur de la République) qui réunit plusieurs services : police, gendarmerie, fisc, douanes, inspection du travail, Pôle emploi, Urssaf, Caf, Sécurité sociale, RSI et MSA. »

Possibilité de fermer une entreprise administrativement

Incontestablement en fixant un objectif précis, François Rebsamen met la pression sur tous les services pour augmenter le nombre de contrôles et améliorer leur efficacité à travers la coordination de tous. Le préfet qui intervient dans le Codaf peut également lorsqu’un travail illégal est avéré fermer administrativement une entreprise pendant deux mois. Une disposition ancienne mais peu utilisée qu’il s’agira de réactiver, et qui s’ajoute à la possibilité d’arrêter les chantiers en cas de fraude constatée (loi Macron). Un guide à destination des administrations est d’ailleurs en projet sur les nouvelles dispositions renforcées par la loi Macron et les mesures déjà existantes qui peuvent être appliquées.

Pour faire diminuer la fraude au travail détaché, et parallèlement aux contrôles, le Directeur adjoint à la Direction du Travail croit aux vertus des actions d’information en amont, impliquant à la fois les organisations d’employeurs et les organisations syndicales. « Employeurs et salariés doivent être informés de leurs obligations et de leurs droits. Ils pourraient aussi ensemble rechercher les moyens de mieux réguler les pratiques. Nous voulons aussi mettre en place des initiatives, déjà expérimentés dans les pays nordiques, poursuit Yves Clavez, comme la labellisation par des secteurs professionnels du travail temporaire sur sa démarche vertueuse. »

Parmi les autres  mesures, le décret  « liste noire » qui prévoit l’inscription pendant 2 ans des entreprises condamnées pour fraude est transmis au Conseil d’Etat et devrait être publié d’ici la fin juillet.

La solution viendra aussi de l’Europe

Quant à la réouverture du débat au niveau européen voulue par le gouvernement, elle est bel et bien d’actualité. « Un certain nombre de pays européens constatent que les flux ne sont pas maîtrisés. Certains pays comme la France veulent revoir la directive européenne « mère », qui définit ce qu’est le détachement et convergent pour dire qu’il faut être plus restrictif, notamment sur les entreprises de travail temporaire », assure Yves Calvez. Le sujet est inscrit dans le programme de l’actuelle commission et son président a affirmé qu’il s’en saisirait dans le cadre du « Paquet mobilité » pour assurer le respect, notamment du principe d’égalité de rémunération entre salariés employés sur un même lieu de travail. La solution comme le pense François Rebsamen viendra aussi de l’Europe : « on pourrait penser en effet à une rémunération minimale obligatoire, un Smic européen, à une convergence progressive sur la question des prélèvements sociaux, ou encore à une orientation commune sur les politiques de la protection sociale », a-t-il conclu devant le Comité national de lutte contre les fraudes.

Une annonce saluée par les organisations professionnelles

Inclure les préfets dans ce combat est une « très bonne initiative », selon Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment (FFB). « Toutefois, nous demandons toujours le recours aux douanes, notamment pour contrôler des chantiers le week-end : l’une des bases de l’utilisation  frauduleuse de travailleurs détachés, c’est le dépassement d’horaires, y compris le week-end. » Le président de la FFB demande également l’intervention des douanes pour vérifier les chantiers chez les particuliers. « Il se constitue, en région parisienne et plus généralement dans les grandes agglomérations, de véritables systèmes organisés de rénovation d’appartements employant illégalement des salariés détachés, déplore Jacques Chanut. Nous sommes à la limite de l’organisation mafieuse. »

Malgré tout, le président de la FFB voit dans ces nouvelles annonces la preuve que la lutte contre ce type de fraude est devenue une priorité nationale, comme l’a assuré le premier ministre Manuel Valls. « Il me semble que nous avons passé avec succès l’étape de la persuasion auprès des pouvoirs publics », estime-t-il.

Pour Patrick Liébus, président de la Capeb, « C’est une bonne initiative, dont nous allons suivre la mise en œuvre de très près : ces contrôles doivent mener aux sanctions prévues s’il est prouvé que nous avons affaire à du détachement illégal. Nous rappelons par ailleurs que d’autres acteurs doivent être mobilisés dans ce combat, notamment les douanes, les Urssaf et la police aux frontières qui peut s’assurer qu’un travailleur détaché n’entre pas illégalement sur le territoire. Enfin, je constate que monsieur Rebsamen estime, comme moi, que ce dossier se règlera en dernière analyse au niveau européen. Je porterai la voix du bâtiment à ce niveau en tant que président de l’European builders confederation (EBC). Aujourd’hui, la situation est critique pour de nombreuses petites entreprises qui n’ont plus de travail du tout, même en tant que sous-traitantes.»

La satisfaction est de mise du côté des sociétés coopératives du secteur. « Les déclarations du ministre François Rebsamen vont dans le bon sens : il y a une volonté ferme et des objectifs fixés, estime la Fédération Scop-BTP. Nous espérons vivement que ces opérations permettront d’endiguer les offres anormalement basses dont souffrent les PME en général et les Scop BTP en particulier. Il est grand temps que l’harmonisation et la convergence sociale s’opèrent en Europe pour retrouver des conditions de concurrence saines, équitables et efficaces. »

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23/06/2015