Loi Travail : ce qui attend le BTP

 

Porté par Myriam El Khomri, le texte dans son ensemble est loin d’emporter l’adhésion de la profession, même si certaines dispositions satisfont les entreprises de la construction. Travail détaché, licenciement économique, accord d’entreprise… Panorama des principales mesures intéressant le BTP.

Myriam El Khomri, ministre du travail, en visite le 23 février sur un chantier de logements

Le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncé le 20 juillet un troisième recours à l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. A défaut de motion de censure, il sera réputé définitivement adopté sous 24 heures. Le Moniteur fait le point sur cinq mesures intéressant au premier chef la construction.

Le texte dans son ensemble, porté par Myriam El Khomri, ministre du Travail, est loin d’emporter l’adhésion de la profession, avec parfois des positions partagées selon les fédérations. « Nous avons d’abord cru à une réforme ambitieuse allant dans le sens de plus de souplesse et de sécurisation pour les entreprises, regrette Bruno Cavagné, président de la FNTP. Mais deux mesures prioritaires pour les TP de la loi travail ne figurent plus dans le texte final : le barème des indemnités prud’homales, et l’assouplissement de la durée du travail des apprentis mineurs, portée depuis de nombreuses années par la FNTP. » Or, rappelle Bruno Cavagné, « les jeunes doivent pouvoir être formés à la réalité des chantiers et suivre leur tuteur pendant toute la journée de travail. Pour un secteur très engagé dans l’apprentissage et dans un contexte de crise, la suppression de cet assouplissement est une mesure anti-emploi : un employeur verbalisé pour non-respect de la durée du travail n’y reviendra plus. »

La disparition de cette mesure constitue également la plus grande déception du président de la FFB, Jacques Chanut, dans un contexte « où il est déjà difficile de trouver un apprenti mineur. Nous sommes passés, dans le BTP, de 31 000 à 18 000 apprentis mineurs en huit ans. Il est irresponsable d’avoir supprimé cette mesure ! »

« Nous déplorons la suppression du plafonnement des indemnités prud’homales, pointe quant à lui Patrick Liébus, président de la Capeb. En effet, les petites entreprises, dépourvues de service RH, peuvent commettre des erreurs en toute bonne foi. » Or une condamnation pour licenciement injustifié, en ces temps de crise, peut être fatale à  l’entreprise.

Pour Olivier Diard, délégué général de la FNSCOP BTP, la sentence est sans appel. « L’esprit de réforme du texte a volé en éclats. Ce projet de loi a fait trop d’allers et retours : c’est un fiasco ! Il ne reste ainsi plus rien du souci de simplification prôné à l’origine, et la volonté de donner un appel d’air en termes d’emploi a disparu. » Et d’ajouter : « On a aussi, au cours des débats, trop opposé les TPE-PME aux grands groupes. En somme, ce texte divise au lieu de fédérer. »

 

Des avancées sur la lutte contre le détachement illégal

Emboîtant le pas aux lois Savary de juillet 2014 et Macron d’août 2015, le texte renforce l’arsenal de lutte contre le détachement illégal. Il étend ainsi l’obligation, à la charge du maître d’ouvrage, de vérifier que l’entreprise détachant des salariés se soit acquittée de la déclaration préalable à l’inspection du travail, aux sous-traitants directs et indirects de ses cocontractants, y compris au regard des salariés intérimaires.

Parmi les autres nouveautés : sur les grands chantiers, le maître d’ouvrage devra afficher, à l’attention des salariés détachés, des informations sur le droit du travail applicable traduites dans leur langue. Le législateur consacre aussi au niveau législatif l’obligation de déclaration du donneur d’ordre en cas d’accident du travail survenu à un salarié détaché. Le maître d’ouvrage rétif à appliquer ces différentes mesures s’expose au paiement d’une amende de 2000 euros par salarié détaché. Le texte étend également la possibilité, pour l’administration, de suspendre une prestation de service en cas de manquement par l’employeur à la déclaration de détachement.

Enfin, la sanction de fermeture d’établissement prévue par la loi Macron en cas de travail illégal pourra prendre la forme, dans le BTP, d’un arrêt de chantier. Mais l’administration pourra suspendre les travaux sur un autre chantier de l’entreprise, si celui où a été verbalisée l’infraction est achevé ou a été interrompu. 

« Ces nouvelles règles, comme le renforcement de la responsabilité du maître d’ouvrage et l’obligation de déclarer un accident du travail survenu à un travailleur détaché, correspondent à ce que nous avions demandé : ces mesures sont très consensuelles», commente Jacques Chanut. « Si nous nous félicitons des mesures sur le détachement, nous doutons toutefois de la possibilité de traduire les règles de droit du travail applicables dans toutes les langues des salariés détachés, nuance de son côté Bruno Cavagné. Le mieux est l’ennemi du bien. »

 

Nouveau mode de validation des accords d’entreprise

Afin de renforcer la légitimité des accords collectifs d’entreprise, le texte généralise la règle de l’accord majoritaire. Autrement dit, la validité d’un accord sera conditionnée par sa signature par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli plus de 50% (et non plus au moins 30%) des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles. Le droit d’opposition des syndicats ayant recueilli au moins 50% des suffrages est dès lors supprimé.

Le texte prévoit cependant une procédure de référendum des salariés pour valider les accords paraphés par un ou des syndicats représentant plus de 30% des suffrages. L’accord sera ainsi considéré comme valide s’il est approuvé par une majorité de salariés. La consultation des salariés, qui pourra être organisée par voie électronique, devra respecter les règles relatives aux élections professionnelles. Elle se déroulera conformément à un protocole spécifique conclu entre l’employeur et les organisations signataires.

Ces règles s’appliqueront à partir du 1er janvier 2017 aux négociations sur le temps de travail, et au plus tard le 1er septembre 2019 dans les autres domaines.

 

Primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail

Le texte consacre en outre la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière de durée du travail. Ainsi, le taux des heures supplémentaires sera par exemple fixé en priorité par accord d’entreprise et, à défaut seulement, par accord de branche, sans néanmoins pouvoir être inférieur à 10%. A défaut d’accord, l’accomplissement d’heures supplémentaires donnera lieu, comme c’est le cas aujourd’hui, à une majoration de salaire pour chacune des huit premières heures supplémentaires et, au-delà, à une majoration de 50%.

Cette inversion de la hiérarchie des normes en matière de temps de travail n’est pas pour rassurer Olivier Diard. « On peut comprendre le besoin de négocier au niveau de l’entreprise, mais il n’est pas certain que l’on respecte ce qui se fait au niveau de la branche. Cela risque de créer du dumping social au sein d’une profession. » Pour Olivier Diard, « Là-aussi, le texte divise. Ce n’est pas l’esprit de chantier, de solidarité qui imprègne le secteur. Le dialogue social au niveau de la branche est parfois difficile, mais il a le mérite d’exister.»

La FNTP se dit au contraire favorable à la primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail, « qui donne de la souplesse et des marges de manœuvre au plus près du terrain sur certains thèmes, développe Bruno Cavagné. Cela ne contribuera de surcroît pas à déconstruire ce qu’a fait la branche, qui doit au contraire être plus que jamais au service des entreprises qui ne peuvent pas négocier. »

Le législateur a d’ailleurs prévu des garde-fous au niveau des branches, afin d’éviter que le développement de la négociation d’entreprise ne génère un phénomène de dumping social. Chacune aura ainsi deux ans, à compter de la promulgation de la loi, pour définir les matières dans lesquels les accords d’entreprise, exception faite des thèmes pour lesquels la loi leur donne la primauté, ne pourront être moins favorables que ceux de branche. Les partenaires sociaux de la branche devront établir un rapport sur l’état des négociations avant le 30 décembre 2018.

Le texte ajoute aussi, aux matières pour lesquels un accord d’entreprise ne peut déroger à l’accord de branche (salaires minimaux, classifications, protection sociale complémentaire et mutualisation des fonds de la formation professionnelle), l’égalité professionnelle et la pénibilité. Il confie enfin à la branche la mission de réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champs d’application.

 

Nouvelle définition du licenciement économique

La liste des causes pouvant justifier un licenciement économique s’enrichit. Selon le texte, constitue ainsi un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

  • à des difficultés économiques, caractérisées par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie  ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout élément de nature à justifier ces difficultés ;
  • à des mutations technologiques ;
  • à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, un critère déjà admis par la jurisprudence ;
  • et à la cessation d’activité de l’entreprise.

Les durées de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires dépendent de la taille de l’entreprise :

  • un trimestre jusqu’à 10 salariés ;
  • deux trimestres consécutifs de 11 à 49 salariés ;
  • trois de 50 à 299 ;
  • et quatre à partir de 300 salariés.

Ces nouvelles règles s’appliqueront le 1er décembre 2016. « La nouvelle définition du licenciement économique, qui tient compte de la baisse du carnet de commandes, est peu adaptée au BTP, où il faut être très réactif », estime Jacques Chanut. Nous émettons des réserves concernant le critère du nombre de trimestres à prendre en compte en fonction de la taille de l’entreprise. Ce qui importe n’est pas la taille de l’entreprise, mais l’impact d’une situation, d’une commande. Il faut se désintoxiquer de cette manie française des seuils !»

Patrick Liébus, à l’inverse, se félicite de l’adoption de dispositions « permettant d’engager un licenciement plus rapidement en cas de difficultés, surtout dans un contexte où les marges de chantier sont réduites ». Une entreprise de moins de 11 salariés, qui dispose de moindres marges de manœuvres, aura ainsi la possibilité de recourir au dispositif au bout d’un trimestre de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires. « Contrairement aux plus grosses, une TPE ne peut compenser une baisse dans d’autres secteurs ou activités. »

 

Création du compte personnel d’activité

Dès le 1er janvier 2017, tous les actifs, quel que soit leur statut,  bénéficieront d’un compte personnel d’activité (CPA). Ce dernier comportera en premier lieu le compte personnel de formation et le compte pénibilité. Sa mise en place ne sera donc pas chose aisée dans le BTP. La profession, n’ayant obtenu de nouveau report pour l’entrée en vigueur du compte pénibilité au 1er juillet dernier, travaille à présent sur les référentiels professionnels de branche.

Par ailleurs, outre les formations éligibles au dispositif, les titulaires du CPA pourront accéder dans ce cadre à la validation des acquis de l’expérience (VAE), à l’accompagnement à la création d’entreprises et au bilan de compétences. Les salariés n’ayant pas eu accès à un premier niveau de qualification (diplôme national ou titre professionnel) pourront en outre créditer leur compte personnel de formation à hauteur de 40 heures par an au lieu de 24, avec un plafond de 400 heures, contre 150 pour les autres actifs. De quoi accéder à un nouveau niveau de qualification tous les dix ans, soit pour progresser dans leur carrière, soit pour se reconvertir.

Le CPA comportera en outre un compte engagement citoyen permettant de valoriser le rôle de maître d’apprentissage  et toute forme d’engagement bénévole et civique, pour bénéficier de droits supplémentaires à la formation. Chaque titulaire sera informé des droits inscrits sur son compte, et pourra les utiliser via un service en ligne.

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20/07/2016