A l'école du modèle SCOP

 

Gestion démocratique, partage des profits, fonds propres importants... Fortes de ces atouts, les coopératives s'en sortent mieux en temps de crise. La preuve par l'exemple.

A Pantin, en Seine-Saint-Denis, non loin du métro et en retrait d'une grande avenue, la Scop UTB a des allures de paquebot de métal patiné et de bois de couleur douce. Une "belle boîte" attachée à son extérieur "designé", comme il en pousse tous les mois en région parisienne. Celle-ci officie dans le bâtiment et son président, carré dans un fauteuil devant les verrières d'une salle de réunion, a tout du patron traditionnel. Une entreprise comme une autre ? Pas tout à fait.

Charles-Henri Montaut, se dévoile : "Nous sommes une société anonyme classique à conseil d'administration avec une particularité de taille : nos 357 salariés associés sur 987 détiennent l'intégralité du capital. Je suis élu par eux tous les quatre ans depuis 1996. Vous êtes ici dans une Scop." Le nom claque comme un vieux slogan publicitaire, il commence comme société et se termine comme coopérative. "Le statut Scop n'est pas magique, mais il nous permet sans doute d'être mieux armés pour résister à la crise", poursuit-il.

Une gestion prudente, de bon père de famille

Encore récemment inconnues du grand public ou considérées comme une curiosité, les Scop sont aujourd'hui en vogue. Et pour cause. Leur taux de pérennité à cinq ans est de 66,1 %, contre 50 % pour les entreprises classiques. "Les Scop fleurissent, en particulier dans les périodes de crise ou de récession économique, dans les années 1880, après les deux guerres mondiales, lors de la Grande Dépression des années 30, à la fin des années 70 et... depuis 2008", abonde Michel Porta, coauteur du livre Les Scop, nous en sommes fiers ! (CAC, 2012).

Démonstration par l'absurde : la hausse du nombre de Scop en France depuis 2008 (+ 15 %) en dit long sur la gravité de la crise ! Mais le pays de Jaurès, de Fourier et de Godin en veut davantage. Le ministre de l'Economie sociale et solidaire et de la consommation, Benoît Hamon, représentant de l'aile gauche du PS, affiche sa volonté de "doubler le nombre de Scop d'ici à 2017". C'est une piste à explorer, à l'heure où "50 000 entreprises meurent chaque année, faute de repreneurs, ce qui détruit entre 40 000 et 200 000 emplois par an", rappelle Patrick Lenancker, président de la Confédération générale des Scop.

D'où vient cette "scopophilie" soudaine ? Tout d'abord, "la Scop, c'est l'anti-statut spéculatif ; nous pensons long terme, et les profits sont répartis de façon plus équitable !" résume Charles-Henri Montaut, également président de l'Union régionale des Scop d'Ile-de-France. Ils sont distribués en trois catégories : participation aux salariés (43,2 % en 2011, selon la CG Scop) pour récompenser ; dividendes aux collaborateurs associés (12,7 %) pour rémunérer ; et réserves impartageables (44,1 %) pour investir. "Cinq fois plus élevés dans les Scop que dans les entreprises classiques, les fonds propres issus de ces réserves sont un vrai bouclier en cas de tempête", souligne Patrick Lenancker.

Cette répartition des profits explique que "nous ayons une gestion de bon père de famille", se félicite Jacques de Heere, dirigeant d'Acome, leader sur le marché européen des réseaux, qui compte 1 365 salariés. Un exemple ? "Le déclin du réseau téléphonique en cuivre aurait pu nous inciter à fermer notre usine de Mortin, explique le dirigeant. Au contraire, avec une vision à dix ou quinze ans, nous avons modernisé notre outil afin d'accompagner notre client France Télécom jusqu'au bout." Autre aspect rassurant de la Scop, selon Valérie Puente, responsable adjointe des services généraux d'UTB : "Comme nous possédons le capital, personne ne peut nous racheter, c'est sécurisant. Le seul danger, c'est la faillite, car nous perdrions tout."

Envers de la médaille, cet actionnariat salarial est souvent insuffisant, "par exemple pour des Scop technologiques, gourmandes en capitaux !" lance Frédéric Bérier, dirigeant d'EvoSens, bureau d'études et de conception d'ingénierie optique (huit salariés) créé en 2009, en Bretagne. Car, Scop ou non, une société a besoin d'argent pour se développer. Et même de beaucoup d'argent ! Un noeud gordien que Benoît Hamon tente de défaire. "Les Scop nécessitent du capital patient, car elles génèrent un rendement limité et interdisent toute plus-value en capital, donc ne peuvent pas, par essence, intéresser le private equity classique, celui qui recherche un multiple à la revente", explique-t-on au cabinet du ministre.

Mais l'attraction des Scop vient aussi de sa gouvernance démocratique, si appréciable dans un monde trop souvent vertical. "La société n'est pas dirigée par des actionnaires que l'on ne voit jamais et qui ponctionnent les profits, sans se soucier de l'humain derrière le reporting", estime Carlos Ferreira, responsable du service travaux et logements neufs, sociétaire depuis six ans à UTB. Associés majoritaires, les salariés détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. Sur le principe "Une personne égale une voix", quelle que soit la quantité du capital détenue, les sociétaires élisent leur dirigeant.

Certes, la démocratie soude les gens. Mais n'empêche pas les coups de gueule lancés au patron sur le mode : "Tu parles à l'actionnaire, tout de même !" Résultat : les décisions prennent souvent un temps fou. "Le dirigeant passe des heures à expliquer et à informer les équipes", reconnaît Pierre Grosset, président de Juratri (135 salariés), en Franche-Comté. Spécialisé dans la collecte, le tri et le démantèlement de déchets électriques et électroniques, Juratri vient d'acquérir 16 000 mètres carrés de bâtiments et de les équiper d'un process de production industrielle, pour un investissement de 2,5 millions d'euros. Le dirigeant raconte : "Cela passe par une décision approuvée par les associés car ce choix a un impact sur les résultats et la participation reversée aux salariés."

"Nous organisons une fois par mois une réunion avec les sociétaires pour un point sur la stratégie, le bilan...", explique quant à elle Christine Jaffré, directrice des achats du fabricant de jouets Moulin Roty. Et, à son arrivée dans l'entreprise, le salarié reçoit un livret d'accueil avec les bases à connaître pour lire un bilan, les droits et devoirs du sociétaire, la particularité qu'implique le double statut de salarié et sociétaire. Il bénéficie aussi d'un parrainage par un ancien. L'idéal des phalanstères, avec ses ouvriers instruits, aussi habiles à l'enclume qu'à la plume, flotte encore dans les bureaux des Scop.

Pour Carlos Ferreira, responsable du service travaux à UTB, une Scop du bâtiment située à Pantin, l'engagement des collaborateurs est plus grand que dans une entreprise classique.

Et quand la ruche de la Scop bourdonne comme il faut, personne ne se sent seul. En particulier le dirigeant. "On se sent sans doute moins seul que dans une entreprise classique", témoigne Joël Bry, dirigeant d'Aerem, société d'études et de réalisation de machines pour l'aéronautique située en Midi-Pyrénées, issue d'un essaimage d'Alcatel Espace, en 1985. "Avec un comité stratégique de sept volontaires salariés et associés, nous avons planché pendant neuf mois sur notre stratégie à cinq ans. Elle constitue ma feuille de route."

Des efforts pour limiter les écarts de rémunérations

A l'heure où les entreprises se plaignent du désengagement des collaborateurs, l'exotisme statutaire des Scop séduit. Et pour cause : "Nous en sommes copropriétaires !" lance Carlos Ferreira, d'UTB. "Dans le passé, l'entreprise a eu un coup dur, et les salariés ont réagi comme un seul homme et sont remontés au capital", raconte François-Xavier Salvagnac, directeur de l'action participative de la Scopelec, spécialisée dans les infrastructures de communication (2 200 salariés). Alors, entre cocapitalistes "du même monde", les rémunérations doivent être décentes et surtout ne pas trop s'écarter les unes des autres. "Les salaires les plus bas se situent un peu au-dessus de la moyenne nationale. Et l'écart entre le haut et le bas de l'échelle va de 1 à 5 ou de 1 à 15. Jamais de 1 à 100", assure Patrick Lenancker.

Pour mettre un peu d'huile dans les rouages des Scop, il faut aussi favoriser la mobilité interne et la promotion. En décembre dernier, à 38 ans, technicien supérieur de formation, Fabien Hosteins a piloté le passage en Scop de Loy et Cie, une entreprise soixantenaire, spécialiste de la construction en bois, sise à Plouay (Morbihan). Avec simplicité, il reconnaît : "Mon passage comme dirigeant s'est fait en douceur : au cours de mes quinze années dans l'entreprise, j'avais touché au commercial, à la conduite de travaux, au management d'équipe..."

Comme en famille, il faut savoir se rendre utile pour se faire apprécier. Comme en famille, on a aussi besoin de tout le monde. "Nous trouvons toutes les solutions pour maintenir les salariés dans l'emploi", explique Jacques de Heere, d'Acome. En 2002, l'entreprise a dû licencier 150 personnes, mais, l'an dernier, lestée d'un chiffre d'affaires global en recul de 10 %, la Scop a demandé à plusieurs dizaines de salariés d'adapter leurs compétences pour sauvegarder l'emploi. Un câbleur de fibre optique est ainsi devenu extrudeur de polyéthylène, après quelques semaines de formation. Des assistants commerciaux export en produits du bâtiment sont devenus assistants commerciaux pour équipementier automobile. Et si les Scop étaient le cadre idéal de la flexisécurité ?

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