Scop : les femmes font mouvement

 

Malgré de nombreuses initiatives pour favoriser leur ascension dans l’entreprise, les femmes restent en France minoritaires aux fonctions dirigeantes. Avec pourtant des secteurs fortement masculinisés, les Scop ont de longue date ouvert la voie.

Les chiffres parlent d’euxmêmes : les femmes constituent la moitié de la population active, mais elles ne sont que 18,1 % à diriger des entreprises (source Insee). Elles sont encore plus rares (7 %) à la tête des entreprises de plus de 250 salariés. Mais les choses changent : en 2004, elles n’étaient que 15 % parmi les dirigeants. Leur poids est plus fort, autour de 30 %, dans les métiers de services comme le commerce, le secteur de la santé, de l’action sociale et de l’éducation, dans les services aux entreprises et aux ménages. Elles restent en revanche très minoritaires (entre 10 et 15 %) dans les secteurs du bâtiment ou des transports. Les Scop se distinguent de ce point de vue par un taux plus élevé de femmes dirigeantes, de l’ordre de 25 % malgré pourtant une part plus importante de métiers historiquement masculins comme le BTP ou l’industrie. Leur présence est également plus forte que la moyenne nationale dans les métiers de la santé, l’action sociale et l’éducation (42 %). La dernière enquête menée en novembre 2014 par le Mouvement1 montre qu’elles représentent 32 % des créateurs de nouvelles coopératives ces quatre dernières années.

Compétentes avant tout

« Le milieu économique et politique est très masculin », constate Andrea Diaz Gonzalez, dirigeante de Catalane Performance, une Scop de conseil et formation en Languedoc-Roussillon. Mais, pour autant, je ne suis pas pour la parité qui est certes une discrimination positive, mais une discrimination quand même. Les femmes doivent être sélectionnées et acceptées pour leurs compétences. » Elle reconnaît néanmoins qu’il faut faire preuve de plus de compétences qu’un homme pour gagner sa place. Ce que confirme Nathalie Jammes, secrétaire générale de la Fédération des Scop de la communication : « Il faut viser l’excellence ; on ne fait confiance qu’aux femmes qui font leurs preuves… alors que certains dirigeants sont pour le moins légers ». Cette différence de compétences attendues est sans doute la marque la plus forte d’une inégalité qui perdure. Les dirigeantes coopératives interrogées ont souvent été confrontées à des situations de crise ou de restructuration économique ou institutionnelle de leur entreprise alors qu’elles en prenaient les rênes. Camille Dorival directrice d’Alternatives Economiques, Brigitte Bari, directrice des Pompes Japy, Catherine Parrotin PDG d’Avenir électrique de Limoges (AEL) témoignent néanmoins du soutien et de la confiance de leurs collaborat urs. « L’enjeu pour moi était d’autant plus important, explique ainsi Catherine Parrotin, que les mandats d’administrateurs arrivaient à échéance. » À l’issue de son premier manda , elle est réélue à 85 %.

Le poids du secteur

« Chaque Scop est victime du profil sociologique propre à son métier, analyse Camille Dorival. Une démocratie fondée sur la cooptation ne favorise pas beaucoup les femmes, les jeunes, les personnes issues de la diversité. On choisit toujours qui nous ressemble. » Ses prédécesseurs ne sont pas tombés dans ce piège. Elle est néanmoins la première femme désignée à ce poste, les dirigeants précédents étant issus de la rédaction. Or, les journalistes économiques, surtout macro-économiques, sont généralement des hommes... « Les Scop sont des entreprises avant tout, insiste Amélie Rafael membre du Bureau national de la CG Scop. Elles sont donc très marquées par leur environnement professionnel. Or, lorsqu’il est très masculin, il est parfois difficile pour une femme de s’y faire une place. » Catherine Parrotin confirme : les femmes sont rares à la tête des entreprises du secteur BTP, « moins de 10 localement ». Quand Nathalie Jammes arrive à la direction de la Fédération de la communication, le conseil d’administration n’était composé que d’hommes, majoritairement des imprimeurs. « Mais avec l’arrivée des agences de communication, de graphisme, etc., les choses changent ». Le Mouvement Scop n’est pas en reste : Patricia Lexcellent, déléguée générale de la CG Scop depuis octobre 2012, a succédé à plusieurs hommes et une autre femme, Dominique Marcon, a déjà occupé sa fonction à la fin des années 1990.

Un statut qui favorise leur ascension 

Brigitte Bari, PDG des Pompes Japy en Franche-Comté, a la sensation que les femmes sont toutefois plus nombreuses à la tête de Scop que dans le secteur commercial. Andrea Diaz Gonzalez constate aussi que le milieu de l’économie sociale et solidaire est plus féminisé, ce qu’elle explique par une plus grande ouverture mais aussi par le fait que « les femmes s’y sentent plus à l’aise », qu’elles y trouvent des valeurs qui leur correspondent mieux. Elles sont plusieurs à insister sur le mode de management plus participatif, qui dépasse les échelons hiérarchiques, à l’opposé d’un management directif et « déshumanisé » qu’elles sont plusieurs à avoir fui. Et, surtout, certaines considèrent qu’elles n’auraient pas pu parvenir à ce poste ailleurs que dans une Scop. « Ça ne se serait pas passé comme ça, reconnaît Camille Dorival. On compte peu de journaux où les salariés sont impliqués dans la gouvernance. » « Dans une entreprise classique, je n’aurais jamais occupé ce poste », confirme Brigitte Bari. Et si certaines découvrent le statut Scop à leur arrivée, toutes s’y impliquent, y prennent des responsabilités de plus en plus importantes. « Je me suis investie dans la Fédération sans compter », témoigne Nathalie Jammes.

Appels du pied

Pour certaines, c’est aussi l’occasion de s’engager sur des mandats électifs : Andrea Diaz Gonzalez devient administratrice de l’UR Scop Languedoc- Roussillon en 2013, « parce que je préfère m’investir plutôt que de râler ». D’autres témoignent d’appels du pied du Mouvement, « mais je ne souhaitais pas m’investir si je ne dégageais pas suffisamment de temps pour apporter ma pierre à l’édifice. À 50 ans, je me suis dit qu’il était temps », explique Brigitte Bari qui devient trésorière de l’UR Scop Bourgogne Franche-Comté, puis présidente du Comité d’engagement financier régional des Scop, avant d’intégrer Sofiscop, l’un des outils financiers du Mouvement Scop. « Pour s’investir dans les instances, il faut maîtriser son sujet. C’est une condition essentielle », souligne Amélie Rafael, rapidement sollicitée par l’UR Scop Nord Pas-de-Calais Picardie dont elle devient vice-présidente, avant d’intégrer le Bureau national à la demande de Patrick Lenancker, le président de la CG Scop ; elle y est aujourd’hui la seule femme. « Faire monter des femmes est une vraie préoccupation du Mouvement, le discours est sincère mais il est plus difficile de le concrétiser », ajoutet- elle. Elle pointe des modes de désignation qui favorisent les dirigeants de Scop, majoritairement des hommes, le manque d’outils adaptés pour favoriser la parité. Malgré des statistiques plutôt flatteuses au regard des statistiques nationales, le Mouvement Scop est conscient des efforts à accomplir en matière de promotion des femmes et continuera de porter ce thème dans ses débats.
 
01/03/2015