Paul Duphil (OPPBTP) : « Nous associons très fortement la prévention à la performance »


Interview du secrétaire général de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) qui a lancé ''Horizon 2020'', son nouveau plan stratégique quinquennal. Avec une ambition forte : positiver la prévention dans le secteur du BTP.

Pouvez-vous nous rappeler ce que sont les missions de l'OPPBTP ?

Depuis 1947, c'est l'organisme paritaire spécialisé dans les questions de prévention des risques professionnels pour le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). En France, nous sommes le seul organisme de branche de ce type. Nous apportons des moyens complémentaires à ceux de grandes institutions comme l'Assurance maladie ou l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Dans ce contexte, nous menons une mission exclusive de conseil et d'accompagnement auprès des salariés et des entreprises du BTP. Nous disposons de 332 collaborateurs dont près des 3/4 se mobilisent sur le terrain pour accompagner les entreprises au travers d'un réseau d'une trentaine d'implantations sur le territoire métropolitain.

Quel est le contenu de votre activité de conseil ?

Chaque année, nous réalisons près de 16.000 diagnostics et actions d'accompagnement auprès de 8.800 entreprises. Globalement, la demande s'exprime au travers d'un contact téléphonique. Souvent, il suffit d'aiguiller la personne vers la documentation dont elle a besoin. Cependant, dans le milieu du BTP, la dimension humaine compte énormément. La diversité des situations sur les chantiers conduit à rencontrer les gens directement sur les sites de construction. Généralement, c'est le patron qui appelle. Mais nous prenons aussi l'initiative de déterminer régulièrement des objectifs d'action sur tel ou tel secteur d'activité en fonction des risques particuliers dont l'OPPBTP estime qu'il y a un besoin d'action plus impérieux.

De quels outils disposez-vous ?

Ils sont innovants ! Citons Préval, un outil pratique d’évaluation des risques ainsi que notre démarche et nos solutions métier pour améliorer les conditions de travail : Démarche de progrès et Adapt BTP... Sans oublier notre site www.preventionbtp.fr qui permet d'évaluer les risques en quelques clics, d'effectuer le suivi de son personnel et de son matériel et de s’informer grâce à de nombreux outils pratiques à télécharger. Nous touchons près de 30.000 entreprises qui font un usage digital régulier de nos documentations en ligne. Notre site Web a enregistré 890.000 visites uniques en 2015 ainsi que 25.000 téléchargements de documents chaque mois. Au-delà de cet usage, nous nous adressons régulièrement aux 230.000 entreprises adhérentes à l'OPPBTP qui relèvent des deux conventions collectives du secteur, à savoir le bâtiment d'un côté et les travaux publics de l'autre. Nous touchons ainsi près de 1,4 million de salariés. Bien sûr, nous travaillons en relation avec la Fédération française du bâtiment (FFB), la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), les scop du BTP ainsi que les organisations patronales du BTP et les syndicats de salariés du BTP.

Et côté formation ?

Nous touchons chaque année près de 18.000 professionnels au travers de 67 stages adaptés aux entreprises qui sont répertoriés dans notre catalogue Vision. Nous comptons des formations pour les maîtres d'apprentissage, les étudiants et les acteurs de la prévention ainsi qu'un accompagnement pour bâtir des plans de formation. Pour nous, accompagner les acteurs de la formation initiale du BTP est très important afin que la prévention soit prise en compte dès le départ chez les apprentis. Enfin, nous menons aussi des études d'ingénierie pour déterminer des méthodologies nouvelles de prévention des risques professionnels. A côté de cela, nous venons également en appui technique auprès des organisations professionnelles de la branche et des services publics. Y compris pour l'élaboration et la mise en œuvre de la réglementation. Enfin, nous sommes partie prenante dans la détermination des stratégies de prévention pour les branches du BTP tant vis-à-vis de l’État que des partenaires du secteur.

Comment structurez-vous votre mission d'information ?

Grâce à de multiples supports comme le magazine Prévention BTP qui compte 100.000 lecteurs chaque mois, la newsletter Prévention BTP (32.500 abonnés). Et des affiches, des mémentos, des fiches prévention en commande et téléchargeables sur le site. Nous proposons pas moins de 50 ouvrages et registres ainsi que 70 vidéos pédagogiques qui permettent d'aiguiser son regard sur la prévention. Régulièrement, nous lançons aussi des campagnes de communication nationales de sensibilisation comme, par exemple, sur l'amiante ou les troubles musculosquelettiques (TMS).

En France, le BTP enregistre 150 à 200 décès par an. Comment pensez-vous contribuer à l'amélioration cette situation ?

Depuis ces 5 dernières années, le taux de sinistralité a baissé de 15%. Autrement dit, la prévention est en nette progression ! Cependant, le taux reste, bien sûr, inacceptable. Il faut dire que l'équation de la prévention est d'une rare complexité et les problématiques sont nombreuses. Citons le port de charges lourdes, les gestes et postures, les masses en mouvement, les outils coupants, les engins de chantier... Enfin, il y a aussi le caractère forain des chantiers qui sont aussi des environnements en évolution permanente. Il ne faut pas non plus oublier la cohabitation d'entreprises qui sont de cultures, d'histoires et parfois aussi de langues différentes... Le tout dans des métiers où les clients n'ont qu'un faible intérêt direct dans la prévention. Contrairement, par exemple, à un secteur comme l'aviation civile. Dans ce cadre, la branche bâtiment enregistre un taux de fréquence d'accident plus élevé que dans les TP mais les TP ont un indice de gravité supérieur.

Quels sont les principaux risques ?

Les risques les plus importants sont les chutes de hauteur qui constituent la première cause d'accidents graves ou mortels. Ensuite, il y a les accidents de la route ou ceux qui sont liés aux engins et aux machines de chantier, les risques dus aux produits chimiques et à l'amiante - qui reste un soucis majeur ainsi que les TMS. Pour y remédier, nous ciblons les écoles et les établissement qui forment des apprentis. Particulièrement les Centres de formation d'apprentis (CFA). Nous mettons à la disposition de leurs formateurs des outils pédagogiques et menons des actions visant à organiser la gestion des enjeux de santé au travail et de prévention des risques au sein même des CFA. Notamment au travers de l'opération annuelle ''100 minutes pour la vie'' ?

En quoi consiste-t-elle

La 7ème édition a eu lieu du 9 novembre au 18 décembre 2015. Cette opération est destinée aux apprentis en première année, soit près de 25.000 jeunes. Ils découvrent et analysent non seulement des situations à risque comme les chutes de hauteur mais aussi les TMS, les risques électriques... L'année dernière, nous avons instauré une nouvelle façon de parler aux jeunes, plus ludique et collaborative. Ils sont interpellés grâce à un QR code présent sur l’affiche. Munis de leur smartphone, les apprentis répondent à des questions en ligne. Ils accèdent aussi aux comptes Facebook et Twitter de la campagne via le site internet www.100minutespourlavie.fr. Pour accentuer le côté ludique, l'édition 2015 a misé sur un nouveau concept : le futur différé. Il s'agit d'une mise en scène et d'un scénario originaux : un laboratoire de physique nucléaire virtuel a trouvé un système de visualisation d’événements dans le temps, 15 à 20 minutes avant que ceux-ci se déroulent. Les conseillers en prévention de l’OPPBTP contactent le laboratoire en visio-conférence, lequel leur permet de voir un accident potentiel sur le point de se passer. Un ordinateur soumet trois options pour l’éviter. Aux apprentis de choisir la meilleure solution dans un temps imparti et de sauver ainsi des vies !

Quelles sont les réglementations récentes qui vous ont paru importantes ?

L'adoption par l’État du troisième Plan santé (PST 3) au travail en janvier dernier. Récemment, le 31 mars, l'OPPBTP a présenté son nouveau plan stratégique, Horizon 2020, qui a des liens étroits avec le PST 3. Il se décline selon trois enjeux : poursuivre la mobilisation des entreprises et de leurs salariés, en particulier des TPE, pour développer quotidiennement la prise en charge active des questions de santé et de sécurité au travail dans un contexte où les solutions sont largement disponibles. Il s'agit ensuite de faire baisser le nombre des accidents graves et mortels en travaillant sur leurs causes. Notamment en ce qui concerne les travaux en hauteur avec un ciblage particulier auprès des entreprises d'échafaudage, couverture, charpente et gros œuvre. A cet égard, nous menons un programme en partenariat avec les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Enfin, nous voulons développer les études sur le terrain avec, en ligne de mire, les enjeux liés à la pénibilité au travail : port de charge, postures, bruit, expositions aux agents chimiques... A côté de cela, nous voulons saisir toutes les opportunités qui se présentent avec les technologies digitales : lunettes connectées, les objets connectés, intelligence artificielle, réalité augmentée... Tout cela va très vite !

Et quels chantiers réglementaires pourraient  vous concerner pour 2016 ?

Avant de parler de réglementation, nous plaidons plutôt pour une approche positive de la prévention. En effet, nous voulons rappeler aux entreprises et aux salariés que la prévention n'est pas là que pour respecter le code du travail. C'est surtout un moteur de la performance ! A ce sujet, l'OPPBTP avait mené, il y a trois ans, une étude qui établissait clairement un lien comptable entre prévention et performance économique. Pourtant, le monde de la prévention est peu habitué à calculer l'impact économique de la prévention sur la rentabilité. C'est d'autant plus vrai dans les TPE.

Cependant, le grand chantier réglementaire qui touche nos branches porte sur la mise en œuvre du compte pénibilité qui va nécessiter la rédaction de référentiels par les organisations patronales ainsi que leur homologation par l’État. Ensuite, il faudra en accompagner le déploiement sur le terrain avec des outils simples pour aider les entreprises à s'en saisir. Je pense, notamment, à des applications pour que les sociétés puissent réaliser leur analyse sur Internet. L'enjeu, c'est de donner du sens à la réglementation de sorte à ne pas se limiter à la déclaration des expositions mais à y trouver l'occasion d'initier une dynamique d'amélioration des conditions de travail. Ainsi, avec les outils que nous proposons, nous ferons valoir de façon simple et spontanée l'intérêt d'engager ces travaux en donnant des exemples, des solutions concrètes, des indications de coût, de rentabilité, d'accroissement de la productivité, voire de développement de l'activité grâce à une organisation plus efficiente de l'entreprise.

Paul Duphil est secrétaire général de l’Organisme
professionnel de prévention du bâtiment et des
travaux publics (OPPBTP).
© OPPBTP/Christian Murtin

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09/05/2016