Accompagnement, échanges, entraide : les vertus de l’inter-coopération

 

Présent au plus près des Scop et des Scic en proximité, le réseau des Scop apporte son expertise de l’accompagnement des projets d’entreprises coopératives, mais joue aussi un rôle déterminant d’animation des liens entre coopératives sur les territoires et dans plusieurs métiers.

La maxime est bien connue : si les coopératives sont des entreprises à part entière, elles sont aussi entièrement à part. Chacune doit faire vivre son projet coopératif et collectif, combiner responsabilité et solidarité, faire vivre l’engagement des  associés,  salariés  et  non  salariés. Mais le besoin de collectif et de solidarité s’exprime aussi par le besoin d’échanger entre  coopératives,  de  s’épauler  et  de travailler  ensemble.  L’inter-coopération a pris dans les dernières années une importance grandissante dans un contexte de stagnation économique, de la nécessité  d’un  interlocuteur  unique  pour  les donneurs d’ordre et de technicité croissante  dans  les  métiers.  Cette  évolution est  patente  aussi  bien  à  l’échelon  de la  CG  Scop,  que  des  unions  régionales  Scop, des fédérations de métiers que des coopératives locales.
 
Solidarité territoriale
 
L’inter-coopération  est  depuis  quelques années  devenue  une  des  missions  premières des UR. « Sur la base d’un questionnaire diffusé en juin 2015, nous avons lancé  des  actions  pour  améliorer  l’inter-coopération,  précise  Sophie  Hemardinquer,  chargée  de  l’animation  réseau  de l’UR Midi-Pyrénées. Dès septembre, nous avons  inauguré  des  rencontres  du  jeudi, qui prennent la forme de visites de Scop, de mini-formations thématiques ou d’ateliers professionnels.  »  Tout  l’écosystème  coopératif (associés, élus, permanents) s’est mis en route pour favoriser les échanges au service du développement coopératif. Une démarche analogue se retrouve en Rhône-Alpes-Auvergne,  avec  l’instauration  de  comités  territoriaux.  «  Nous avons voulu booster la mise en réseau sur les  territoires,  se  félicite  Cyril  Zorman,gérant  de  Probesys  et  élu  de  l’UR.  Il fallait qu’on remette les gens au cœur du système et qu’ils échangent entre eux. Les comités  territoriaux  rassemblent  des  Scop dans la proximité, sur la base d’une charte de fonctionnement écrite au sein de l’UR. L’an dernier, 22 réunions de comités territoriaux ont eu lieu. » Des échanges de toute nature peuvent s’y dérouler, sur la base de bassins de vie. Ainsi, quand la propre entreprise de Cyril Zorman a eu besoin d’acquérir de nouveaux locaux, elle s’est entourée  des  conseils  des  Scop  de  son 
propre environnement géographique. L’inter-coopération est une préoccupation de longue date dans les instances et  elle  se  pratique  depuis  des  années entre coopératives. La Scop Alma en a adopté presque toutes les modalités. « 
L’inter-coopération peut prendre plusieurs formes, détaille Sylvain Cathebras, responsable communication. Cela peut être du  soutien  ponctuel,  comme  l’hébergement  dans  nos  locaux,  de  l’assistance technique  (et  là,  on  est  plus  proche  du mécénat  de  compétences),  de  l’appui financier  ou  de  l’aide  stratégique.  »  Si Alma  est  d’abord  interpellée  par  des coopératives  du  secteur  des  nouvelles technologies (hébergement pour Widip, synergies commerciales avec Probesys, soutien  financier  d’Artix),  la  Scop  grenobloise n’a pas hésité à sortir de son cœur de métier. « Il y a deux ans, nous avons été sollicités par une société de restauration et de livraison, le Bon sens des mets,  raconte  Sylvain  Cathebras.  Nous les  avons  accueillis  sur  nos  terrains  et nous les avons aidés à se transformer en Scop. On le fait dans une logique de solidarité  locale.  On  sème  une  graine  et  on espère que ça débouchera sur un succès économique. »
L’inter-coopération  territoriale  est  aussi festive. A Rosporden dans le Finistère, les coopératives  locales  se  sont  fortement mobilisées  pour  créer  «  Woodscop  »,  le premier  Festival  combinant  débats  coopératifs et musique rock tout au long du weekend  des  14  et  15  mai.  Soutenu  par l’UR  Scop  représentée  pendant  les  deux jours, y compris par son président Serge Boureau,  le  festival  Woodscop  a  été  impulsé par la CAE Chrysalide et bon nombre de ses entrepreneurs-salariés, la brasserie coopérative  Tri  Martolod,  la  menuiserie LGF et la Scop de communication Appaloosa. D’autres Scop ont apporté leur aide financière  ou  technique  comme  Media Graphic pour l’impression de l’affiche.
 
Le levier d’inter-coopération
 
Informatique  et  nouvelles  technologies lancent  de  nouvelles  opportunités  et  de nouveaux  défis  à  l’inter-coopération.  S’il existe  déjà  de  nombreuses  plateformes liées  au  mouvement  (voir  encadré),  certaines  entreprises  coopératives  veulent aussi se saisir de ces outils pour relancer les échanges économiques. C’est même le cœur de métier de la Scic France Barter, un réseau d’échanges commerciaux entre entreprises, qui limite les échanges monétaires au profit d’échanges de services et de produits. « L’adoption du statut coopératif nous a permis d’impliquer les entreprises adhérentes,  qui  doivent  devenir  sociétaires, explique  Samuel  Cohen,  le  co-fondateur. Nous  avons  l’ambition  de  favoriser  l’inter-coopération  par  les  outils  digitaux.  Il  n’y  a pas encore beaucoup de coopératives parmi nos 460 membres, comme Tri Rhône-Alpes, Alternatives  Économiques  ou  Innovascop, mais nous y travaillons ! » Par exemple, Tri Rhône-Alpes a proposé du matériel informatique qu’elle reconditionne en échange de  conseil  juridique  auprès  d’autres membres.  Cela  crée  des  ressources  complémentaires pour les entreprises.
 
Groupes métiers
 
L’inter-coopération joue non seulement sur  les  territoires,  mais  aussi  en  premier lieu par filière et par métier. Olivier Diard, délégué général de la Fédération des  Scop  du  BTP,  témoigne  des  nombreux exemples d’inter-coopération parmi les 600 coopératives adhérentes de la branche BTP. Cela fait déjà notamment une vingtaine d’années que la Fédération des Scop du BTP a instauré des groupes professionnels, qui rassemblent une vingtaine de dirigeants  de  Scop  (ou  de  managers) métier par métier : électriciens, menuisiers,  opérateurs  de  travaux  publics, plombiers, lignards, etc. Ils se réunissent tous  les  trimestres  pour  évoquer  entre eux des sujets d’actualité ou des objectifs partagés. « Avec ces réunions, évoque Olivier Diard, les dirigeants se connaissent mieux  et  partagent  leurs  pratiques,  par exemple  pour  s’approprier  le  nouveau Code des marchés publics, pour parler RSE ou label qualité (5 Scop ont ainsi participé à une expérience-pilote l’an dernier sur la norme  AFAQ  26  000,  avant  que  les  premières  Scop  du  BTP  ne  soient labellisées cette année. »
L’inter-coopération  passe  aussi  par  la solidarité  économique  sous  forme  de réponses communes aux appels d’offre des  grandes  collectivités  locales, participations  croisées  ou  du  prêt  de  main d’œuvre, qui évite la sous-traitance. La mutualisation des outils est aussi le fer de  lance  d’une  autre Fédération,  celle des Scop de la communication, qui a fait de  l’inter-coopération  une  stratégie  de développement économique et de miseen visibilité. Après une première version, la plateforme collaborative Made in Scop a pris une nouvelle dimension cette an-née, pour aller de manière plus offensive à  la conquête  de  nouveaux  marchés. « Les gros clients veulent avoir désormais affaire  à  un  seul  interlocuteur,  souligne Nathalie Jammes, déléguée générale de la Fédé de la com. Une agence de communication coopérative peut bien sûr jouer ce rôle, pour intégrer plusieurs métiers. Il s’agit  d’une  démarche  de co-traitance, dans laquelle la Fédé joue un rôle d’animatrice en cas de besoin ; mais les clients peuvent aussi s’adresser directement à une Scop,  dans l’animation,  l’imprimerie  ou les outils digitaux. » Il faut dire que les 235  coopératives  du  secteur  ont,  elles aussi, l’habitude de travailler ensemble depuis des années. Il n’est pas rare par exemple que, lorsqu’une imprimerie soit en surcharge de travail, elle appelle un collègue pour prendre le relais, grâce à la bonne connaissance qu’ont les uns et les autres du parc de machines. « Grâce à  cette  solidarité  transversale,  les  clients des  Scop  savent  que  leur  commande  ira jusqu’au bout, poursuit Nathalie Jammes. C’est un défi que nous réaffirmons avec la nouvelle plateforme Made in Scop. »
 
Entraide mutuelle
 
Elles ont beau être plus jeunes que les Scop du BTP ou de la com, les Scic sont aussi tombées rapidement dans le bain de  l’inter-coopération.  D’abord, parce que  deux  confédérations,  la  CG  Scop et  la  FN  Cuma,  ont  mis  leurs  moyens en  commun  pour  consolider  le  développement  des    Sociétés coopératives d’intérêt collectif. Mais aussi parce que d’entraide  mutuelle  s’est  retrouvée  dès les  premières  expériences  de  Scic,  un statut  initialement difficile  à  apprivoiser. « La première ressource pour les Scic, ce  sont  les  Scic  elles-mêmes,  confirme Jean Huet, animateur de l’inter-réseaux Scic. Pour aller plus loin, une plateforme collaborative a été créée en octobre 2014. L’inter-réseaux  propose  plusieurs  théma-tiques (comment animer le multi-sociétariat, à quels outils financiers peut-on accéder), avec des outils à la disposition des 270 membres inscrits (fiches, wiki, forum), sachant  que  les  Scic peuvent  proposer leurs  propres  groupes  de  travail.  »  Certaines avaient d’ailleurs préalablement créé  leur  propre  réseau  de  confiance, dans  lequel  les pionnières  aidaient techniquement les nouvelles entrantes, comme dans les réseaux Citiz, Enercoop ou du bois énergie. Dans ces nouvelles installations, les  UR  ont  joué  un  rôle non négligeable.Mieux  travailler  ensemble,  c’est  aussi faire des affaires ensemble. Pour dyna -
miser les résultats de ses entrepreneurs salariés, la CAE Mine de talents, à Alès, a  créé  des  filières  par  métiers  en  son sein,  Talents  d’habitats,  Talents Informatique  ou  Talents  communication. «  Cela  renforce  les  compétences  des  uns et  des  autres  ;  on  les  fait  travailler  en-semble plutôt qu’en concurrence, indique Sylvie  Catenant,  co-gérante  de  Mine de  talents.  Chaque  filière  a  son  propre catalogue  pour  se  présenter.  En  deux ans, la filière Formation a vu son chiffre d’affaires global passer de 50 000 à 250 000  euros  !  »  A  l’échelon  régional,  les CAE viennent aussi de prendre la déci-sion de constituer des regroupements. L’association  des  CAE  Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon va rassembler 15 CAE pour être plus fortes ensemble et répondre à des appels à projets communs.
Le  mot  de  la  fin  revient  à  Jean-Marie Kerherno,  ancien  PDG  de  STPEE,  Scop de  travaux  publics  d’électricité  en  Île-de-France  et  qui  a  une  longue expérience d’inter-coopération dont il  vante les mérites : « on s’enrichit dans l’inter-coopération. Ca grandit l’aventure coopérative.  Si  quelque  chose fonctionne  dans une Scop, il faut en faire profiter les autres. ça aura des retombées positives pour nous ou  pour  l’environnement  économique. Autre atout cela oblige les gérants à être observés par des yeux extérieurs et à rece-voir  du  soutien  de  ses  pairs  quand  on  a des moments de découragement. Pendant 20  ans,  j’ai  vécu  ces  temps  d’échanges avec  d’autres  Scop  comme  une  respiration pour prendre du recul. » Avant même d’être constituée d’échanges techniques ou financiers, l’inter-coopération est un état d’esprit. 
 
Sur la photo : Jean-Marie Kerherno
 
01/06/2016