L'audience patronale tourne au dialogue de sourds

Un désastre.

Les organisations d'employeurs du BTP ne cessent de déplorer les effets engendrés par la représentativité patronale, mise en place en 2017 sous l'impulsion de la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle et la démocratie sociale. Parmi les critères à remplir pour peser dans les négociations paritaires figure celui, primordial, de l'audience, qui doit être mesurée tous les quatre ans. Des arrêtés publiés en 2017 en ont inscrit dans le marbre la première mesure. Mais alors que les fédérations du secteur se livrent en 2019 au décompte de leurs adhérents et de leurs effectifs en vue de la candidature qu'ils porteront en 2020 pour la représentativité de 2021, le critère de l'audience génère entre elles des tensions, en particulier du côté du bâtiment.

Contestations à tout-va.

Au départ, l'idée de la réforme était de donner une légitimité indiscutable aux fédérations d'employeurs au niveau de la branche et au niveau national ou interprofessionnel. Reste qu'à la Capeb, on ne décolère pas : « Ce mode de calcul nous a fait perdre notre premier rang », regrette Patrick Liébus, son président. Dans la branche des entreprises comptant jusqu'à 10 salariés, la fédération se trouve selon les mesures de 2015 devancée d'une courte majorité par la FFB (voir tableau ci-contre). En conséquence, seule cette dernière est en mesure d'exercer le droit d'opposition à l'extension d'un accord si elle refuse de le signer. Au grand dam de la Capeb, qui considère que ce droit devrait bénéficier aussi aux organisations d'employeurs totalisant plus de 50 % des entreprises d'une branche, et non pas seulement à celles comptant plus de 50 % des salariés. « Ce droit de veto nous empêche de rentrer sereinement dans les négociations de conventions collectives », s'agace Patrick Liébus. « Chaque organisation se lance dans une compétition chiffrée avec la volonté d'affaiblir l'autre, ce qui dégrade l'ensemble du dialogue social de la branche bâtiment », se désole Jacques Chanut, président de la FFB.

La mesure de l'audience joue également un rôle au sein des institutions et organismes paritaires. A défaut de règle spécifique prévue par un texte légal ou conventionnel, la répartition des voix au sein du collège patronal y est proportionnelle à leur audience. Cette dernière se fonde, pour 30 % sur le nombre d'entreprises qui leur sont ad hérentes, et pour 70 % sur le nombre de salariés employés par ces structures.
 
La Capeb a perdu son premier rang dans la branche des entreprises de plus de dix salariés.
 
« Cette mesure n'a pourtant fait l'objet d'aucun arrêté avec les résultats rendant compte de ce calcul, et ne figure nulle part, si ce n'est à l'article L. 2135- 15 du Code du travail, issu de la loi dite “ Travail ” du 8 août 2016, et relatif à l'Association de gestion du fonds paritaire national pour le dialogue social », explique-t-on à la Capeb. Dans la mesure où, à ce jour, aucun accord n'est possible dans le BTP entre les fédérations, cette règle semble s'imposer de facto pour la répartition des voix patronales au sein des organismes paritaires, comme l'opérateur de compétences (Opco) Constructys.
 
Dans ce contexte, la Capeb appelle de ses vœux une inversion de la règle (70 % entreprises et 30 % salariés), en faisant valoir que l'adhésion à une organisation relève d'une décision de l'entreprise, et non de ses salariés. La FFB exprime un avis contraire. « Le seul critère légitime pour discuter avec des représentants d'employés aurait consisté à se baser uniquement sur le nombre de salariés », juge Jacques Chanut.
 
La Capeb émet par ailleurs des doutes sur l'exactitude du nombre d'adhérents comptabilisés en 2015 et imagine que n'ont pu être évités des doubles ou triples comptes involontaires d'entreprises. De son côté, le président de la FNTP, Bruno Cavagné, exprime déjà des craintes pour la « pesée » des adhérents qui déterminera la prochaine représentativité en 2021. « On nous assure que les commissaires aux comptes [chargés des contrôles de la validité des déclarations des fédérations, et qu'il leur incombe de nommer, NDLR] seront prêts, mais je suis loin d'en être convaincu. »
 
La FNScop BTP sans représentativité.
 
On finirait presque par en oublier le cas de la Fédération nationale des Scop BTP (FNScop BTP), qui n'a pas franchi le seuil de 8 % exigé pour établir sa représentativité au niveau de la branche. « Nous représentons pourtant 92 % des Scop du BTP », se défend Maximilien Mézard, son délégué général. La petite fédération a été soutenue en janvier dernier par des sénateurs, qui ont déposé un amendement au projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises. Déclaré par la suite irrecevable en raison de sa nature de cavalier législatif, il proposait « d'acter le principe d'une représentativité catégorielle pour certaines organisations professionnelles d'employeurs ».
 
Pour continuer à exister dans les négociations collectives, la FNScop BTP s'est résolue, en avril dernier, au principe d'un rapprochement avec la FFB, que cette dernière a acté lors de son assemblée générale des 13 et 14 juin. « Les Scop doivent continuer à porter leur voix », insiste Maximilien Mézard. Pourtant, au-delà de ces batailles d'audience, la situation inquiète. « Si la branche se trouve paralysée au lieu de faciliter la vie des entreprises, ces dernières finiront par s'interroger sur l'utilité de la gestion paritaire et négocieront des accords en interne [comme le permet notamment, sur certains sujets, la réforme « Macron » du Code du travail de 2017, NDLR], prédit Jacques Chanut. Les temps ont changé ! »
 
28/06/2019