La cogestion en format Scop
 
Ces entreprises dont les salariés sont les patrons font la part belle à la gouvernance démocratique et au dialogue. Mais il n’est pas toujours facile aux syndicats et représentants du personnel d’y faire leur place.
 
« L’entreprise peut fonctionner autrement que dans la confrontation !» François Mortegoutte, P-DG des Maçons parisiens, est plutôt fier de la qualité des relations sociales dans cette Scop de 200 salariés dont une trentaine de sociétaires. Ici, pas d’ambiance de lutte des classes. « Le dialogue social ne se pose pas en termes de revendication. On travaille dans un esprit de cogestion. » Les sociétés coopératives ouvrières de production ont le vent en poupe. Dans son projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, Benoît Hamon, ministre délégué chargé du dossier, entend s’appuyer sur ce statut  méconnu pour faciliter la reprise d’entreprise par les salariés et sauver des emplois.
Concrètement, les coopératives sont détenues majoritairement par les salariés et répondent à une règle simple : un homme, une voix. « Sociétaires » ou « coopérateurs » élisent leurs dirigeants, votent les rémunérations, mais aussi le projet stratégique. Réunis en assemblée générale au moins une fois par an, tous peuvent exprimer leur opinion sur les décisions du comité directeur. Une gouvernance démocratique et une transparence des données économiques et sociales qui déplacent le rôle des élus du personnel, des organisations syndicales et, par ricochet, des dirigeants. « Une part du dialogue social passe par l’exercice de la double qualité de salarié et de sociétaire. Savoir ne pas être d’accord, c’est un peu la base dans une Scop. La qualité du dialogue social y est sans doute plus forte », indique Michel Rohart, responsable de l’union régionale des Scop en Rhône-Alpes. 
Les instances représentatives du personnel semblent moins sacralisées que dans les entreprises traditionnelles où elles sont un lieu de pouvoir. Dans l’Ariège, les 65 salariés de Couserans Construction ont ainsi accès aux réunions du comité d’entreprise sur simple demande. « Ils ne comprenaient pas bien le rôle du CE au sein de la Scop. Nous leur avons ouvert les portes », explique, pragmatique, Anouck Pauchard, responsable des RH. « Nous participons à toutes les décisions stratégiques de l’entreprise, au même titre que les sociétaires, ajoute Anne Vatté, élue CFDT du CE de la société Bourgeois, fabricant de fours professionnels de Haute-Savoie. Nous gardons aussi à l’esprit que c’est notre travail qui nous permettra de payer nos salaires. Avant de demander aux coopérateurs de se mettre en grève, nous y réfléchissons à deux fois. » Pour le PDG, Guy Babolat, la différence réside surtout dans le niveau de confiance qui lie les élus à la direction. « Il n’existe aucun enjeu patrimonial, ni actionnaire extérieur entre nous. Les élus du personnel ne peuvent pas me suspecter de travailler pour autre chose que l’entreprise.»
 

RÔLE DES IRP QUESTIONNÉ

 
Selon une étude du Centre de recherche en économie de Grenoble sur la qualité des relations sociales dans les Scop en Rhône-Alpes, salariés comme dirigeants jugent souvent les instances représentatives du personnel redondantes et parfois en porte à faux avec l’organisation collective. Dans certaines Scop, les DP sont considérés comme des gêneurs cherchant à réintroduire un rapport patron-salarié qui ne colle pas avec l’esprit coopératif », souligne Hervé Charmettant, chercheur à l’université Pierre-Mendès-France de Grenoble et coauteur de l’étude. Une réalité d’autant plus prégnante que le débat démocratique interne est porté aux nues. « Dans une entreprise très transparente, le positionnement d’un syndicat est questionné. Quel rôle peut-il jouer ? Doit-il appliquer les décisions votées par les salariés ou défendre ses valeurs ? La CGT peut-elle porter une motion en AG ? » s’interroge Guillaume Etievant, consultant et représentant syndical CGT chez Syndex, cabinet d’experts auprès des CE et CHSCT, issu du courant autogestionnaire de la CFDT, en Scop depuis 2011. Pour Laurence Ruffin, directrice générale de la SSII Alma, le rôle des IRP est forcément amoindri dans uns Scop. « Notre statut nous oblige à faire beaucoup de pédagogie autour de l’économie de l’entreprise. Les relations de travail sont différentes et le niveau de compréhension des Almatiens élevé. Les sociétaires n’accepteraient pas que la délégation unique du personnel (DUP) soit mon seul interlocuteur. » Frédéric Blanchard et Eric Morel, deux élus alamtiens, le reconnaissent, « la DUP intervient rarement pour défendre un salarié. Les coopérateurs la considèrent plus comme un CE qui organise des rencontres festives, des moments de convivialité ». Une vision minimaliste des IRP que ne défend pas Guillaume Etievant. « Le rôle du DP est fondamental dans un modèle d’entreprise autogestionnaire. Les salariés qui ne s’impliquent pas suffisamment dans le jeu démocratique peuvent voir leur carrière en pâtir. Les DP sont là pour sécuriser les parcours professionnels. » Chez Bourgeois, Anne Vatté, élue CFDT au CE, défend également la présence des élus au sein des Scop. « Certains salariés n’osent pas poser de questions en Ag. Prendre la parole en public les intimide. Ce sont souvent les élus qui posent les questions ou partagent l’information. » D’une Scop à l’autre, la qualité et la réalité du dialogue social peuvent néanmoins être très différentes. Dans les coopératives où le fonctionnement s’apparente à une oligarchie, c’est-à-dire où il y a peu de sociétaires par rapport au nombre de salariés, le dialogue social se rapproche de ce qu’on observe dans les entreprises classiques. L’histoire de l’entreprise joue aussi beaucoup. D’autant plus si la coopérative était auparavant une société anonyme. Comme chez Bourgeois. « Paradoxalement, les élus du CE, tous syndiqués, ne veulent pas entrer dans la cogestion, ça n’est pas leur culture. Ce qui m’irait bien, car nous partagerions les décisions et les responsabilités. J’ai parfois même le sentiment qu’ils me reprochent de ne pas être assez le patron », explique Guy Babolat.
 

NÉGOCIATIONS EXIGÉES. 

 
Le point le plus délicat pour les Scop reste d’établir une ligne de partage entre les prérogatives des salariés sociétaires et celles des représentants du personnel. Car les coopératives sont soumises au même droit du travail que les autres. Si les rémunérations sont votées et connues de tous, les fameuses négociations annuelles obligatoires sur les salaires et les conditions de travail restent une exigence. Chez Syndex, cette négociation concerne uniquement le personnel administratif. « La rémunération des consultants fait l’objet d’un débat démocratique au sein de groupes opérationnels, autonomes dans leur gestion. Les taux de rémunération sont votés et peuvent donc être différents d’un groupe à l’autre », explique Jean-Paul Raillard, le directeur général. En 2012, La direction de Syndex a lancé un débat sur la question pour faire converger ces taux. « Les salariés veulent rester dans la continuité, constate le directeur général. Si on retire des éléments importants de la discussion, comme les salaires, on retire une grande partie de l’intérêt du débat démocratique. »
Les grandes confédérations n’ont pas investi la question du dialogue social dans ces entreprises d’un autre genre. « Essentiellement parce que celles-ci ne sont pas associées au dialogue social interprofessionnel », décrypte Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC, la seule organisation syndicale à s’être saisie du projet de loi de Benoît Hamon. Le sujet devrait pourtant leur revenir en boomerang. « Le rôle des IRP dans les Scop illustre une évolution qui se met en place dans les PME classiques », relève Hervé Charmettant. La loi de sécurisation de l’emploi prévoit que dans les entreprises de moins de 50 salariés un accord d’entreprise n’est valable que s’il est soumis par référendum aux salariés. L’esprit Scop pourrait faire des émules.