• 09/03/2023

    La réforme des retraites préoccupe aussi les patrons du BTP
     
    Certains chefs d’entreprise ne voient pas d’un bon œil le recul de l’âge légal de départ à la retraite. Le sujet est moins prégnant dans d’autres structures, où l’on met en avant l’amélioration des conditions de travail.
     
     
    Depuis l’annonce de la réforme des retraites, nombreux sont les salariés en fin de carrière à venir frapper à sa porte. «Nos seniors ont besoin d’explications et souhaitent simuler leurs droits, rapporte Anouck Pauchard, responsable RH de la PME ariégeoise Couserans Construction. Car à partir de l’âge de 57 ans, les ouvriers commencent déjà à accuser une certaine fatigue. »
     
    Le projet de loi actuellement débattu au Parlement, qui prévoit un relèvement de l’âge de départ à la retraite à 64 ans sans réintégration des critères de pénibilité « BTP » dans le compte professionnel de prévention, n’a pas seulement soulevé l’ire des syndicats du secteur. Sensibilisée par ses adhérents, la Capeb des Côtes-d’Armor a elle aussi donné de la voix contre la réforme, en décalage avec la position de la confédération adoptée au niveau national.
     
     
    Organismes qui fatiguent, difficulté à suivre les cadences
     
    La perspective du recul de l’âge légal n’émeut pas qu’en terres bretonnes. « Ca nous inquiète, soupire Anouck Pauchard. Nous étions déjà préoccupés par le sujet de la pénibilité en fin de carrière. » Se lever tôt, travailler à l’extérieur par grand froid comme en période de canicule« Autant de facteurs qui usent les organismes : certains seniors ont du mal à suivre la cadence, d’autres partent en inaptitude pour problèmes de dos. Aussi, quelques-uns de nos salariés qui ne sont pas concernés par la réforme ont préféré accélérer, et prendre leur retraite bien qu’ils ne puissent encore bénéficier du taux plein. D’autres encore se renseignent sur le dispositif du cumul emploi-retraite.»
     
    Pour Francis Dubrac, P-DG de Dubrac TP (Seine-Saint-Denis), c’est « une évidence ». Un ouvrier qui manie la pioche et le marteau-piqueur, exposé aux vibrations, au bruit, aux postures impliquant une torsion du corps, mais aussi aux conditions climatiques ou encore aux risques de glissade, doit bénéficier d’un régime spécial. « Travailler jusqu’à 60 ans dans ce contexte, ce n’est déjà pas mal ! Mais quand on siège sur les bancs de l’Assemblée nationale, on ne ressent peut-être pas le même type de chocs physiques… », ironise le dirigeant.
     
     
    "Ouvrir les droits à 60 ans pour les ouvriers du BTP"
     
    « Certains postes comme ceux de conducteurs d’engins, de grutier, offrent certes aujourd’hui des conditions de travail plus confortables. Mais tous les salariés ne sont pas concernés, et les exosquelettes ne sont hélas pas encore d’actualité. » Francis Dubrac a récemment dû se séparer d’un terrassier de 52 ans déclaré inapte en raison de problèmes de dos. Le chef d’entreprise se dit ainsi favorable à une ouverture des droits à partir de 60 ans, « en laissant la liberté aux personnes qui le souhaitent, pour des raisons familiales ou financières par exemple, de poursuivre leur carrière ».
     
    Olivier Riom, président de Vivolum (Loire-Atlantique), spécialisé dans l’aménagement de bureaux, rappelle toutefois la situation d’un grand nombre de salariés du secteur, qui pourront bénéficier du dispositif « carrières longues ». Le projet du gouvernement prévoit en effet que les personnes ayant débuté leur carrière entre 18 et 20 ans continueront, sous certaines conditions, de pouvoir partir à la retraite deux ans avant, soit à 62 ans, lorsque l’âge légal sera fixé à 64 ans. De même, celles qui ont commencé à travailler avant 18 ans verront, sous certaines réserves, leurs droits ouverts à taux plein à partir de 60 ans, et, avant 16 ans, à partir de 58 ans.
     
    « Chez Vivolum, nous fêtons certains départ à la retraite, mais il arrive hélas que d’autres salariés ne terminent pas leur carrière, poursuit le dirigeant. Un de nos salariés plafiste âgé de 56 ans, qui comptait 20 ans d’ancienneté, a malheureusement dû nous quitter car il ne pouvait plus travailler sur les chantiers. » Mais d’ajouter : « pour nous qui officions en tant que contractant général dans l’aménagement de bureaux, le sujet de la pénibilité est moins prégnant que dans d’autres entreprises du secteur. Nos travaux impliquent moins de tâches répétitives et de fortes cadences que sur d’autres types de chantiers". Mais le chef d’entreprise en a bien conscience : « malgré les différents aménagements pour améliorer les conditions de travail, nous restons dans des métiers physiques ».
     
    Olivier Riom souligne par ailleurs la difficulté rencontrée par les employeurs pour reclasser des seniors inaptes à leur poste. « Les entreprises disposent rarement de postes à leur proposer. De plus, les intéressés ne souhaitent pas forcément changer de métier, ou n’ont pas toujours les aptitudes requises, par exemple pour une reconversion dans la conduite de travaux ou le métrage. » Comme certains de ses homologues, Olivier Riom pointe aussi le coût élevé du licenciement pour inaptitude concernant des personnes embauchées en fin de carrière, « par exemple d’anciens artisans. C’est le dernier employeur qui prend en charge ce coût, alors que la personne a exercé la majeure partie de sa carrière, et donc été exposée à la pénibilité, hors de l’entreprise ».
     
    De son côté, Vincent Dejoie, gérant de l'entreprise Vincent Dejoie (rénovation, ravalement, isolation par l’extérieure, Côtes-d'Armor) ne qualifierait pas non plus les métiers de son entreprise « de pénibles ». « Ils ont beaucoup évolué depuis l’époque où j’ai débuté il y a 40 ans. Nous ne disposions pas encore des ponceuses avec aspirateur, des ponceuses « girafe » pour les plafonds et autres échafaudages en alu qu’on porte d’une main », se remémore celui qui a présidé la Capeb des Côtes-d’Armor pendant plusieurs années, et exerce actuellement des responsabilités au niveau national sur les sujets du handicap et de l’accessibilité. « A l’époque, les journées consacrées au ponçage n’étaient pas des plus agréables ! Aujourd’hui, cette tâche n’est plus une galère. Il en va sans doute différemment pour des métiers comme ceux de maçon ou de couvreur, dont l’exercice représente davantage de contraintes physiques."
     
    Depuis la création de sa société il y 37 ans, Vincent Dejoie, qui emploie aujourd’hui 49 salariés et 11 apprentis, a été confronté à un seul cas d’inaptitude, en lien avec des troubles musculo-squelettiques impliquant les coudes et les paumes. «Pour les soliers, exposés à la position accroupie, nous constituons des binômes avec un chef de chantier qui permettent de faire des roulements et de leur éviter ainsi d’effectuer le même type de tâches toutes la journée. »
     
     
    Des seniors qui lèvent le pied en transmettant leur savoir-faire
     
    Le contexte actuel invite ainsi les employeurs à redoubler d’efforts pour maintenir leurs seniors dans l’emploi. La Scop Couserans Construction utilise par exemple le dispositif des actions de formation en situation de travail (Afest), « qui permettent aux seniors de lever le pied en transmettant leurs connaissances, leurs astuces pour être autonomes et efficaces, et d’être ainsi moins sur le terrain en production », décrit Anouck Pauchard. Une démarche qui, en conservant le savoir-faire dans l’entreprise, répond aussi à la problématique de pénurie de compétences. « Depuis la crise sanitaire, notre carnet de commandes a explosé, mais nous avons encore plus de mal qu’auparavant à attirer et à transformer l’essai avec les apprentis : les métiers de maçon, de couvreur ou encore de charpentier sont désertés. Le montant alloué aux Afest dans notre budget formation -nous sommes accompagnés dans ce cadre par un organisme de formation- va passer de 20 000€ à 40 000€ cette année. »
     
    La démarche sur la qualité de vie au travail récemment lancée avec l’appui de la Fnscop BTP « vise aussi, entre autres, à conserver nos seniors en bonne santé jusqu’à leur retraite. Des groupes d’échanges permettent d’envisager, avec des salariés, l’amélioration des conditions de travail ». Parmi les sujets dernièrement évoqués : l’amplitude horaire des conducteurs de travaux et la fatigue induite par leurs nombreux trajets en voiture. « Car les tâches physiques ne sont pas les seules concernées : chaque métier comporte sa propre pénibilité, sa propre pression », relève Anouck Pauchard.

     

    Bruno Lozachmeur, médecin du travail à l’Association médicale inter-entreprises du Morbihan (Amiem)
    « Les départs anticipés pour inaptitude devraient pouvoir être ouverts en cas d’échec du reclassement dans l’entreprise »
    « Nous suivons dans notre service inter-entreprises quelque 200 000 salariés répartis dans 20 000 entreprises, dont beaucoup de petites qui emploient moins de 10 personnes. Sur les 1 400 inaptitudes prononcées en moyenne chaque année, les deux premières causes concernent les problèmes de dos (environ 520 avis) et les problèmes d’épaules (500 avis). Loin derrière, les risques psychosociaux (300, dont 200 directement liés au travail), et les maladies graves -comme les cancers-, professionnelles ou non (80 à 100 cas annuels). Le problème dans le BTP réside dans la nécessité, pour travailler, de conserver son intégrité physique. Il apparaît difficile pour un carreleur âgé de 58 ans et souffrant de problèmes de santé affectant le rachis ou les genoux de poursuivre sa carrière. Une entreprise de trois ou quatre salariés se heurtera de son côté, dans la majeure partie des cas, à l’impossibilité de lui proposer un poste pour le reclasser une fois l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail.
    Or, ce n’est jamais dit, mais la partie du projet de réforme des retraites ouvrant droit à un départ anticipé à 62 ans pour inaptitude ne concerne pas l’avis délivré au titre du Code du travail par le médecin du travail, mais celui délivré par le médecin-conseil de la Sécurité sociale. Une reconnaissance soumise à des conditions plus bien restrictives : alors que l’avis « Code du travail » vise l’inaptitude de l’intéressé à son poste dans son entreprise, l’avis « Code de la Sécurité sociale » concerne une incapacité de travail générale. Autrement dit, un senior du BTP déclaré inapte à son poste par le médecin du travail pourra par exemple être jugé apte à un poste de comptable par le médecin-conseil. Or, la perspective d’une  reconversion de cet ordre en fin de carrière peut s’avérer illusoire. Le fait que le médecin du travail coche la case « reclassement impossible » devrait donc à notre sens permettre de bénéficier de l’avis favorable du médecin conseil, afin d’ouvrir droit à la retraite anticipée à taux plein. »

     

    09/03/2023

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