Réforme de la formation, un enjeu pour les Scop

La loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a été promulguée le 5 mars dernier. Elle introduit « un changement de paradigme » dans la formation professionnelle, avec le passage d’une obligation de financer à une obligation de former, et une plus grande responsabilité accordée à la personne dans sa formation professionnelle. Une réforme particulièrement importante pour les Sociétés coopératives et participatives, dont le projet même est fondé sur l’évolution et l’émancipation professionnelle de ses membres.

La dernière réforme de la formation professionnelle remonte à 1971 et l’évolution du contexte économique et social en quarante ans, avec notamment l’arrivée progressive d’un chômage de masse, a rendu sa refonte impérative. Pour ce faire, le gouvernement a privilégié le dialogue social et la concertation entre partenaires sociaux : la loi du 5 mars 20141 reprend fidèlement les dispositions inscrites dans l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013. La loi pose comme objectif d’accroître l’accès à la formation professionnelle de ceux qui en ont le plus besoin : les jeunes, les chômeurs et les moins qualifiés, qui sont les premiers visés en cas de licenciements économiques. Pour l’Udes (Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, cf. p.18-19), « la loi pose le changement de paradigme du système de la formation professionnelle en renvoyant davantage à la responsabilité individuelle qu’à une démarche collective ». Elle consacre également les conseils régionaux comme chefs de file de la formation.

L’école UTB a pour vocation de créer des modules de formation exclusifs

Lorsqu’on les interroge, les Scop donnent à cette réforme une tonalité positive. Pour Claire Broussart, DRH d’UTB, première Scop du bâtiment avec 1 200 salariés, « la volonté des politiques est de faire des salariés les acteurs de leur formation depuis la formation initiale ». Elle poursuit : « La loi instaure une obligation systématique de formation tous les 6 ans, ce qui signifie qu’aucun salariéne doit être mis de côté et que les besoins en compétences de l’entreprise seront régulièrement mesurés. C’est un véritable pari sur la responsabilité sociale des entreprises ! » Philippe Mazel, président du conseil d’administration de l’organisme de formation Performance Méditerranée, est plus attentiste mais considère que « si l’ensemble de la chaîne de la formation l’investit, ce sera une très bonne loi. Et on peut se réjouir qu’elle instaure la transparence dans le financement des syndicats ou dans le contrôle exercé sur les formations éligibles au compte personnel de formation. »

Responsabilité individuelle

Cette « révolution » attendue s’appuie sur un outil au coeur de la réforme : le compte personnel de formation (CPF) qui remplacera le droit individuel à la formation (DIF) dès le 1er janvier 2015. Il permet d’accéder à la formation professionnelle tout au long de sa vie, quel que soit son statut (en poste, au chômage, en sortie d’étude) alors qu’auparavant, l’accès à la formation professionnelle dépendait justement de ce statut, les salariés étant privilégiés par rapport aux autres, du fait du poids prépondérant des employeurs dans le départ en formation. Le CPF, plafonné à 150 heures de formation (contre 120 auparavant), pourra être alimenté par l’employeur, les partenaires sociaux, les conseils régionaux et Pôle emploi, « sans que rien ne soit dit, pour le moment, des modalitésd’abondement », remarque Philippe Mazel, d’autant que 150 heures de formation lui paraissent bien peu pour accéder à une formation certifiante ou qualifiante. Toutefois, pondère-t-il, si le CPF prend le chemin du CIF, « la réforme est gagnée ». Pour Jean-Pierre Azaïs, représentant de la CG Scop à l’Udes et à l’Opca (organisme paritaire qui collecte les cotisations des entreprises pour la formation) de l’économie sociale Uniformation, « cette réforme constitue une opportunité pour les Scop car les outils mis en place sont conçus pour le développement, la transition, la succession. Dans l’idée originelle du législateur, le CPF et, plus encore, le conseil en évolution professionnelle (CEP) permettent aux individus intéressés de changer de statut. Il faudra donc combiner nos efforts avec les Opca pour qu’une information soit faite, le plus en amont possible, sur ces dispositifs dans les cas de reprises.»

Vigilance sur la mutualisation 

Autre point clé de la loi, la fusion de toutes les cotisations aux fonds de formation en une seule, variable en fonction de la taille de l’entreprise : 0,55 % pour les moins de 10 ETP (équivalent temps plein), 1 % au-delà, dont une partie sera mutualisée au profit des petites entreprises et des chômeurs. Ce qui inquiète l’Udes, qui constate que les structures employant entre 10 et 300 ETP sont confrontées au même problème d’accès à la formation que les TPE. Philippe Mazel s’interroge : « La baisse de l’obligation légale sur le plan de formation aura forcément des conséquences pour nos structures en tant qu’employeur. Jusqu’à présent, nous pouvions rester à un niveau élevé de formation grâce aux fonds mutualisés, bien gérés par Uniformation, mais demain... » Reste à suivre les négociations interbranches puisque des contributions complémentaires à l’obligation légale pourront y être décidées.
Pour Jean-Pierre Azaïs, la réforme du financement peut ouvrir une opportunité pour le mouvement des Scop : « On dispose d’un outil interne de mutualisation, ajouté à la mutualisation légale, Form.coop qui représente 0,1 % de la masse salariale brute collectée. Cet outil sert pour les formations spécifiquement coopératives. La loi réinterroge ce dispositif puisqu’il n’y a plus de mutualisation légalement obligatoire. C’est le moment pour le mouvement de renforcer et d’étendre cet outil qui garantit la solidarité interne en matière de formation professionnelle. »
 

La formation au coeur du projet coopératif

 
« Le cinquième principe de l’Alliance coopérative internationale2, normalement observé par l’ensemble des coopératives, est le suivant : “Les coopératives fournissent à leurs membres, leurs dirigeants élus, leurs gestionnaires et leurs employés, l’éducation et la formation requises pour pouvoir contribuer effectivement au développement de leur coopérative”. Autant dire que nous avons une obligation de formation envers nos membres », rappelle Anne- Laure Degris, co-directrice de la Scop SA Oxalis, coopérative d’activités et d’emploi implantée sur tout le territoire national. La formation professionnelle y est donc une priorité, même si la donne est différente dans une coopérative aux multiples métiers. Oxalis a d’ailleurs mis en place un comité d’arbitrage composé de salariés permanents et d’associés, pour définir les règles de répartition des fonds collectés. La CAE entame aujourd’hui une réflexion pour être « plus proactive sur le plan de formation », explique Anne-Laure Degris. « Certains entrepreneurs-salariés, notamment ceux dont le chiffre d’affaires s’effondre, doivent être réorientés, se renouveler dans leur pratique ou leur métier. Cette réflexion en cours demandera le développement de compétences des équipes dédiées à l’accompagnement à la reconversion. Mais la formation est bien un objectif partagé par tous. » Un positionnement que ne renie pas Claire Broussart, DRH d’UTB, qui intervient sur des métiers très techniques : génie climatique, couverture, plomberie, etc. « Notre fonds de commerce s’appuie sur les compétences des équipes. Nous avons donc besoin de les voir évoluer. » D’autant que les métiers du bâtiment vont continuer de changer avec l’écoconstruction. Elle poursuit : « La formation professionnelle a toujours été une ligne d’investissement chez UTB, gérée en fonction des besoins stratégiques de l’entreprise et de ceux des salariés », quand dans d’autres entreprises elle est souvent vécue comme une contrainte budgétaire, constate-t-elle. Si bien qu’UTB est toujours allée au-delà de l’obligation légale en matière de formation professionnelle et a mis en place une école UTB » (cf. p. 14-15). Même credo à Performance Méditerranée : « C’est dans nos gènes ! Tous nos salariés bénéficient ainsi d’au moins une formation par an. » Cette exigence de formation est aussi dictée par les partenaires, qu’il s’agisse des Opacif3 ou du Conseil régional de Paca auprès duquel Performance Méditerranée a obtenu le label de certification qualité R.E.S.E.A.U. Depuis toujours, le Groupe Chèque Déjeuner, l’un des trois acteurs-clé du titreservice, dépense lui aussi plus que les obligations légales et investit beaucoup dans la formation professionnelle. « Il est important d’accompagner nos collaborateurs dans leur développement, ça fait partie de la culture du groupe », rappelle Caroline Brison, responsable développement RH, culture de groupe et performance. En 2012, l’entreprise a redéfini sa politique de formation « pour se placer dans une logique pluriannuelle de parcours de formation, accompagner nos collaborateurs aux changements qu’allait vivre le groupe dans le respect de la politique de GPEC4 ». Trois niveaux ont été définis : un niveau « fondamentaux » qui est le socle commun que doivent acquérir tous les collaborateurs, en lien avec les savoir-faire et les savoir être du groupe. Un deuxième niveau correspond aux actions de formation spécifiques identifiées par métier et/ou filiale. Le troisième relève de l’accompagnement individuel. Pourquoi cette évolution de la formation professionnelle ? « Parce que nous avions besoin de projections à plus long terme, pour répondre aux enjeux stratégiques du groupe. Les parcours de formation sont construits dans la progression. La gestion de carrière des collaborateurs se fait aussi par le biais d’entretiens de progrès annuels qui abordent l’évolution professionnelle et à l’issue desquels un dispositif d’accompagnement est proposé. »
 

Scop de formation 

 
Quels impacts la réforme aura-t-elle sur les organismes de formation en Scop ? On en compte aujourd’hui 127, qui emploient 2 795 salariés. Les structures de moins de 10 salariés sont majoritaires (elles ne sont que 12 à dépasser les 50 salariés). En 10 ans, le nombre de Scop investies dans la formation professionnelle a crû de 60 %. Si la grande majorité se consacre à la formation d’adultes, elles sont nombreuses à « avoir adopté un positionnement de niche qui, selon Jean-Pierre Azaïs, garantit leur viabilité », en les protégeant d’une concurrence féroce dans un secteur aujourd’hui caractérisé par le recours aux marchés publics. « Les grands organismes de formation tireront plus avantage de la loi car les demandes plus globales seront faites sous appels d’offres. La loi va donc pousser les Scop de la formation au regroupement. Elle peut être une opportunité pour le tissu des organismes de formation qui a fait preuve jusqu’ici d’une grande créativité », constate encore Jean-Pierre Azaïs. Philippe Mazel ajoute : « Demain, Monsieur Dupont fera son marché sur Internet pour acheter directement des modules de formation, voire sollicitera une formation à distance (FOAD) ou un mini-Mooc5. Il faudra donc nous moderniser, ce qui demandera des investissements conséquents en matériel et en formation de formateurs. La loi peut être un challenge, une belle occasion de renouveler notre métier. » Et dans ce domaine, il reconnaît qu’être une coopérative apporte des avantages, d’une part parce que les Scop bénéficient du CICE (crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi), « ce dont ne bénéficient pas nos concurrents associatifs », mais surtout, parce que l’organisme de formation peut accéder aux outils de financement développés par le mouvement Scop, ce qui va s’avérer primordial « pour investir en recherche et développement sur la FOAD ou les mini-Mooc notamment ».
 
1 Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, JO du 6 mars 2014.
2 cf. Déclaration sur l’identité coopérative, 1995.
3 Organismes paritaires agréés au titre du congé individuel de formation (Opacif).
4 Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
5 Pour Massive on-line open course, soit des petits modules de cours sur internet, ouverts au plus grand nombre.