Groupes cooperatifs : se rassembler pour grandir

 

Avec la nouveauté juridique du groupe coopératif, les Scop, grandes ou petites, se voient offrir une opportunité de se développer en tant que groupes. Depuis une quinzaine d’années, poussées par la croissance, de nombreuses Scop n’ont pas attendu pour grandir, se regrouper et diffuser une culture de groupe. Témoignages de leurs succès et de leurs attentes pour permettre à leurs projets de croissance de s’inscrire dans un projet réellement coopératif.

La coopérative est un regroupement d’hommes et de femmes autour d’un projet économique et social. Ces rapprochements de premier degré ont fait leurs preuves depuis des années, avec ce double objectif. À partir de leur immersion dans un monde très concurrentiel et des besoins plus forts de développement, les coopératives ont mis en place des regroupements de second degré, entre lesentités économiques elles-mêmes. Selon les besoins et les pratiques, elles leur ont donné les formes les plus diverses : simples regroupements de mutualisation de moyens et des services, véritables groupes, avec de nombreuses filiales, intégration à des structures hybrides, comme les groupements de l’économie sociale ou les récents pôles territoriaux de coopération économique…

Scop mère à 51 % du capital

L’outillage juridique étant par défaut conçu pour le droit commun des sociétés, les chefs d’entreprises coopératives ont dû faire preuve de beaucoup d’imagination pour se développer depuis les vingt dernières années ! De pragmatisme également, avec l’acquisition de filiales de droit commun, en France comme à l’étranger, mais qui rendaient difficile l’extension des pratiques coopératives à l’ensemble du groupe ainsi constitué. Et puis vint la loi ESS. Une innovation, attendue par beaucoup, est apparue l’an dernier à l’article 29 de la loi sur l’économie sociale et solidaire favorisant les groupements de Scop. Ces groupements pourront se constituer lors de la transformation de filiale(s) en Scop ou lors de regroupement de Scop existantes (prise de participation directe). Dans les deux cas, la Scop « mère » pourra détenir 51 % du capital et des droits de vote. Pour les dirigeants de coopératives, cette mesure ne vient pas remplacer ou détruire la logique des groupes qu’ils ont souvent mis des années à construire Mais elle apporte une solution nouvelle et coopérative à leurs scénarios de développement futurs. En témoigne la Scop UTB, dont le siège social est à Pantin (Seine- Saint-Denis) et qui agit depuis plusieurs années comme un véritable groupe, etce, même si son président Charles-Henri Montaut évoque plutôt avec modestie « le balbutiement d’un groupe ». UTB compte plus d’un millier de salariés, répartis dans six agences régionales et dans quatre filiales. Une croissance externe entamée dans les années 2000, qui résulte du hasard et de la nécessité. « Notre croissance endogène s’est faite de façon organisée, au travers de la formation de nos salariés, qui a généré de l’activité en continu, explique le PDG d’UTB. Cette situation a perduré jusqu’en 2005, quand l’entreprise était toujours mono-site. À partir de cette date, nous avons eu des opportunités de rachats d’entreprises avec lesquelles on travaillait déjà et qui n’avaient pas de successeurs pour des dirigeants qui partaient à la retraite : Genty, près d’Arras (Pas-de-Calais), Guillaumin à Lucé (Eureet-Loir) et les Charpentes du Gâtinais. Les premières acquisitions n’avaient rien de naturel pour nous et nous nous sommes forgés notre propre expérience. L’an dernier, nous avons racheté une entreprise de deux personnes, une démarche facilitée par l’expérience que nous avions acquise. »

Un outil complémentaire 

Un véritable groupe est alors en germe. En 2008-2009, toutes ces filiales passent sous statut SAS ou SARL, avec un seul cas d’absorption, celui de la société GTB, dont les salariés deviennent sociétaires d’UTB. « Dans la période qui s’ouvre maintenant pour développer la Scop, poursuit Charles-Henri Montaut, nous avons plusieurs pistes : continuer les absorptions, nous en tenir au statu quo ou transformer les filiales en Scop, comme la loi le permet désormais. Auparavant, transformer une filiale en Scop, c’était prendre le risque d’en perdre le contrôle ! » Pour UTB, l’hypothèse du groupe coopératif est un outil complémentaire dans sa réflexion. Mais avant même ces possibles changements juridiques, la Scop spécialiste du BTP s’est attachée depuis des années à développer une culture de groupe. « Dès lors qu’on commence à avoir des métiers variés et des implantations dans différentes régions, souligne ce défenseur des valeurs coopératives, il est important que tout le monde ait un sentiment d’appartenance commune à l’aventure collective. Si nous regroupons tout le monde sous la même bannière, chaque salarié se sentira plus impliqué. » Aujourd’hui, le quasi-groupe UTB com te donc déjà plusieurs agences et filiales, qui fonctionnent comme des centres de profit, des fonctions support d’une cinquantaine de personnes au siège social, mais aussi le service Nidhoo (qui propose de la main d’oeuvre aux particuliers), la fondation UTB et - last but not least - l’école UTB. Se développer comme groupe, c’est aussi la problématique actuelle du Groupe Chèque Déjeuner, devenu le Groupe Up le mois dernier. La Scop de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) compte elle aussi plus d’un millier de salariés en France, mais elle en dénombre plus de 1 200 supplémentaires dans quatorze pays étrangers ! « Jusqu’au milieu des années 1990, nous étions une entreprise mono-produit et mono- site, évoque Catherine Coupet, présidente du Groupe Up depuis septembre dernier. Puis, nous avons commencé à créer des filiales à l’étranger, d’abord en Europe de l’Est, sur notre coeur de métier, le chèque déjeuner et les avantages aux salariés. Au tournant des années 2000, nous avons aussi racheté des entreprises liées à l’informatisation des services à la personne. À chaque fois, la Scop était actionnaire à 100 % de ses filiales. Mais au fil du temps, nous avions proportionnellement de plus en plus de salariés non sociétaires. »

Des salariés enthousiastes à l’étranger

Hors des frontières, le Groupe Chèque Déjeuner avait expérimenté son propre modèle, avec des filiales de droit commun, car, soit la forme coopérative n’existait pas localement, soit elle était connotée négativement, comme dans les pays d’Europe centrale… Malgré tout, la politique du géant de l’économie sociale était d’associer le plus grand nombre de salariés locaux au capital, dès que l’entreprise devenait profitable. Mais cela ne semble plus suffisant désormais. Depuis l’an dernier, le nouveau Groupe Up a décidé d’accélérer la dynamique de groupe. Très concrètement, une commission interne (administrateurs, experts, représentants des salariés) a été mise en place, avec pour mission de définir les contours de la création d’un groupe coopératif, pour lequel la loi ESS pourrait logiquement aider. « Trois périmètres à intégrer dans le groupe ont été définis jusqu’à présent : les activités de titres en France, les activités d’action sociale et les filiales à l’étranger, détaille Catherine Coupet. Sous réserve de la validation par les actuels sociétaires, le premier périmètre devrait fusionner dans le Groupe Up dès l’année prochaine. Nous passerions de 400 à 1 000 sociétaires. Les autres périmètres pourraient prendre un peu plus de temps, mais nous constatons déjà que les salariés à l’étranger sont très enthousiastes à l’idée d’entrer dans un groupe indépendant. » La montée en gamme comme groupe doit aussi permettre au Groupe Up d’accroître son image (avec la déclinaison de la marque unique Up à travers le monde) et son impact économique (avec la volonté de passer d’un volume d’émission de titres de 5,8 milliards en début d’année jusqu’à 10 milliards en 2018). D’ici là, le groupe fondé par Georges Rino, pourrait choisir de devenir un groupe coopératif au sens de la loi française. Passer d’une petite structure de développement local à un grand groupe spécialisé dans les télécommunications, c’est le défi qu’a relevé Scopelec, la Scop de Revel (Haute-Garonne) en une quarantaine d’années. « Pour arriver à ce groupe de 2 300 salariés, notre stratégie a été portée par une vision du marché qui avait (et a toujours) tendance à se concentrer, confirme Jean-Luc Candelon, PDG de Scopelec. Nous avons commencé par racheter des petites sociétés locales de téléphonie d’entreprises. Puis depuis 2003, nous avons fait des acquisitions plus importantes pour conserver notre place de sous-traitant de premier rang d’Orange. Deux holdings, pour les levées de fonds, ont été mises en place pour faire ces rachats de sociétés, avec qui nous travaillions déjà et qui était aussi désireuses d’intégrer le périmètre d’un groupe. Pour les salariés de ces entreprises déjà de taille importante, il était impossible de racheter des parts.» Mais pour créer une culture de groupe de ces SAS disséminées dans toute la France, Jean-Luc Candelon a instauré une direction de la vie participative. Il souligne aussi que Scopelec poursuit son développement endogène, avec 850 salariés dans la maison-mère, auprès desquels la stratégie d’acquisition est systématiquement validée. « Pour conserver nos atouts économiques, conclut Jean-Luc Candelon, nous avons plusieurs pistes, dont celles d’essaimer nos sous-traitants sous forme coopérative ou de constituer une filière avec d’autres Scop des télécoms. » On peut être moins nombreux qu’UTB, Scopelec ou Up et vouloir faire un groupe ! C’est le cas de l’ensemble Trait d’Union qui rassemble 150 salariés. Depuis janvier 2013, Trait d’Union rassemble 12 agences d’interprétation et de traduction de français-langue des signes française. « Nous étions déjà sensibles à l’univers coopératif, avance Christophe Ricono, co-gérant de Trait d’Union et interprète dans la Scop Ex Aequo à Lyon. Il faut dire que la plupart des agences sont devenues des Scop depuis des années. Elles ont eu la volonté de créer une structure commune, avec le statut de coopérative de loi 1947, pour travailler à leur propre consolidation et à leur développement. »

Développer l’offre commerciale 

« C’est d’abord un outil commercial, répond en écho Hélène Lafitedupont, co-gérante de Trait d’Union et directrice financière de la Scop Signe à Bordeaux. Nous sommes trois co-gérants mis à disposition par nos coopératives pour développer l’offre commerciale de nos interprètes. Les grands donneurs d’ordre souhaitent des interlocuteurs uniques et Trait d’Union en fait office. L’an dernier, la coop loi 47 a contractualisé avec La Poste ; sans Trait d’Union, nos Scop qui l’avaient pour cliente l’auraient perdue et les autres n’auraient eu aucune chance de remporter le marché… » Avec La Poste, Trait d’Union a développé une interface informatique Trait d’Union Réservation, pour obtenir très rapidement les services d’un interprète. Hélène Lafitedupont et Christophe Ricono rappellent que toutes leurs décisions sont avalisées par l’ensemble des structures, au cours de réunions hebdomadaires et lors des trois assemblées générales annuelles. Peut-être une prochaine AG aura-t-elle à décider de la constitution de Trait d’Union comme un groupe coopératif ? « Nous fonctionnons déjà comme un groupe décentralisé, confirme Hélène Lafitedupont.Nous souhaitons avoir une logique d’essaimage, avec une tête de réseau pour la veille, la création d’outils et la recherche de clients. Nous sommes dans la logique du réseau d’autopartage Citiz, avec la volonté de développer une marque. » Avec le groupe Teria, installé entre Douai et Valenciennes, c’est encore un autre modèle de développement collectif qui s’est fait jour l’an dernier. Ses promoteurs ont d’emblée créé trois Scop, deux sur des métiers (Teria Services, sur l’aide à la personne et Teria Eco-habitat, pour le bâtiment) et la troisième sur les fonctions support, Asteria Gestion. « Nous sommes partis de l’idée simple de faciliter les démarches administratives et comptables de nos salariés, indique Justine Ben Chaba, responsable financière du Groupe Teria. Pour ces personnes, une trentaine, qui travaillaient en indépendantes ou dans des associations, il a été facile de se retrouver dans le modèle coopératif, qui a des objec ifs économiques et des plus-values sociales. » Chaque Scop a bien sûr son propre gérant et la réalité du groupe Teria se concrétise par des participations croisées entre chaque Scop, détentrice de parts de capital des deux autres. Le groupe Teria devrait encore grandir l’an prochain, avec la transformation en Scop d’In-Teria, une association intermédiaire, créée il y a peu. Avec le soutien des collectivités locales, d’autres Scop, propulsées par Teria, pourraient aussi naître dans le Nord. Il existe enfin d’autres modalités de regroupement hybrides dans lesquelles les Scop peuvent trouver leur place, comme par exemple le Groupe Archer à Romans (Drôme). C’est un groupe économique solidaire, avec un double objectif d’insertion et de développement économique. Dans ce bassin d’emploi en grande difficulté, le groupe Archer associe des associations d’insertion, des petites entreprises et la coopérative d’activités et d’emploi Arcoop. « Notre structure faîtière est une SAS qui mutualise des fonctions pour les douze entités économiques, précise Christophe Chevallier, PDG du groupe Archer. Faire partie d’un groupe permet à ces structures de connaître des appels d’offre et d’y répondre ensemble, quand les tickets d’entrée pour certains financements sont trop élevés pour une seule. » La création d’un groupe a aussi permis de développer des services partagés, que n’aurait pu s’offrir chaque petite entreprise, comme une crèche inter-entreprises. « Le groupe économique solidaire est une bonne solution locale, souligne Christophe Chevallier. Il faut l’adapter à chaque territoire ; les Scop non délocalisables y ont toute leur place. »

Mutualiser ses moyens

La mutualisation des moyens et des compétences est clairement un argument- massue pour la constitution de groupes. La Fédération des Scop de la communication l’a mise en oeuvre sous une forme souple depuis 2010, avec la création de la plate-forme MADEinSCOP, qui rassemble les offres de marchés du secteur et propose les services de 240 Scop, seules ou en intercoopération. « Ce sont des marchés supplémentaires pour ces Scop, qui n’auraient pas été retenues sans la plateforme, affirme Nathalie Jammes, déléguée générale de la Fédération. Cela leur a apporté un demi-million d’euros de commandes en plus l’an dernier. » Et certaines de prestige comme pour Oh Dites, une petite Scop du Finistère, qui, grâce à MADEinSCOP, a gagné l’an dernier le marché de création du journal interne de la RATP ! On le voit, l’intelligence collective est à l’oeuvre au sein des groupements coopératifs. Il ne s’agirait pas que la loi ESS l’éteigne. Pour Laurent Gros, juriste spécialiste en droit coopératif au sein du cabinet lillois Trinity Avocats, « la loi confirme des pratiques déjà existantes dans le monde des Scop, comme des fusions, des joint-ventures, mais surtout des créations de filiales. C’est plus un renforcement de l’existant sur une base coopérative. La possibilité de groupements était néanmoins un manque pour les Scop, alors que d’autres familles, comme les coopératives agricoles, ont de l’avance sur ces thèmes. Cela devrait leur permettre d’améliorer leur croissance externe et aussi d’avoir plus de sociétaires »

01/03/2015