Loi Travail : cinq mesures clés pour le BTP

 

Détachement, licenciement économique, accord d’entreprise… Le projet de loi El Khomri prévoit certaines mesures prioritaires pour le secteur. Le texte est loin d’emporter l’adhésion de la profession.

L’Assemblée nationale a définitivement adopté, le 21 juillet, le projet de loi « Travail », après usage de l’article 49-3 de la Constitution. Un texte de plus de 200 pages dont nous choisissons d’extraire cinq mesures intéressant au premier chef la construction, en attendant la très probable saisine du Conseil constitutionnel. Restent néanmoins deux dispositions absentes, supprimées, au grand dam de la profession, avant le vote : l’assouplissement des règles sur la durée du travail des apprentis mineurs, et le plafonnement des indemnités en cas de licenciement injustifié.

Haro sur la fraude au détachement

Emboîtant le pas aux lois Savary de juillet 2014 et Macron d’août 2015, le texte renforce l’arsenal de lutte contre le détachement illégal. Il étend ainsi l’obligation, à la charge du maître d’ouvrage, de vérifier que l’entreprise détachant des salariés s’est acquittée de la déclaration préalable à l’inspection du travail, aux sous-traitants directs et indirects de ses cocontractants, y compris au regard des salariés intérimaires. Parmi les autres nouveautés : sur les grands chantiers, le maître d’ouvrage devra afficher, à l’attention des salariés détachés, des informations sur le droit du travail applicable, traduites dans leur langue. Le législateur consacre aussi l’obligation de déclaration du donneur d’ordre en cas d’accident du travail survenu à un salarié détaché. Le maître d’ouvrage rétif à appliquer ces différentes mesures s’expose au paiement d’une amende de 2 000 euros par salarié détaché. Le texte étend également la possibilité, pour l’administration, de suspendre une prestation de service en cas de manquement par l’employeur à la déclaration de détachement. Enfin, la sanction de fermeture d’établissement prévue par la loi Macron en cas de travail illégal pourra prendre la forme, dans le BTP, d’un arrêt de chantier. Mais l’administration sera à même de suspendre les travaux sur un autre chantier de l’entreprise, si celui où a été verbalisée l’infraction est achevé ou a été interrompu.


Primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail

Le texte consacre en outre la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière de durée du travail. Ainsi, le taux des heures supplémentaires sera par exemple fixé en priorité par l’entreprise et, à défaut seulement, par la branche, sans néanmoins pouvoir être inférieur à 10 %. Le législateur a toutefois prévu des garde-fous au niveau des branches, afin d’éviter un phénomène de dumping social. Chacune aura ainsi deux ans, à compter de la promulgation de la loi, pour définir les matières dans lesquelles les accords d’entreprise, exception faite des thèmes pour lesquels la loi leur donne la primauté, ne pourront être moins favorables que ceux de la branche. Le texte confie aussi à la branche la mission de réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d’application. Les employeurs devront enfin transmettre leurs accords sur la durée du travail aux commissions permanentes de négociation et d’interprétation. Ces dernières auront vocation à formuler des recommandations pour répondre à des difficultés identifiées en matière de conditions de travail et de concurrence.


Assouplissement du licenciement économique

La liste des causes susceptibles de justifier un licenciement économique – mutations technologiques et difficultés économiques – s’enrichit. Le projet de loi y ajoute la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, un critère déjà admis par la jurisprudence, et la cessation d’activité. Il précise en outre que les difficultés pourront être caractérisées par l’évolution significative d’au moins un indicateur tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie, « soit par tout élément de nature à justifier ces difficultés ». Les durées de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires dépendent de la taille de l’entreprise : un trimestre jusqu’à 10 salariés, deux trimestres consécutifs de 11 à 49 salariés, trois de 50 à 299, et quatre à partir de 300 salariés. Ces règles s’appliqueront le 1er décembre 2016.


Création du compte personnel d’activité

Dès le 1er janvier 2017, tous les actifs, quel que soit leur statut, bénéficieront d’un compte personnel d’activité (CPA). Ce dernier comportera en premier lieu le compte personnel de formation et le compte pénibilité. Sa mise en place ne sera donc pas chose aisée dans le BTP. La profession, n’ayant pas obtenu de nouveau report pour l’entrée en vigueur du compte pénibilité au 1er juillet dernier, travaille à présent sur les référentiels professionnels de branche. Le CPA comportera en outre un compte engagement citoyen permettant de valoriser le rôle de maître d’apprentissage et toute forme d’engagement bénévole et civique, pour bénéficier de droits supplémentaires à la formation. Chaque titulaire sera informé des droits inscrits sur son compte, et il en disposera via un service en ligne.


Vers l’accord d’entreprise majoritaire

Le texte consacre la règle de l’accord majoritaire d’entreprise. Autrement dit, la validité d’un accord sera conditionnée par sa signature par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli plus de 50 % (et non plus au moins 30 %) des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles. Le droit d’opposition des syndicats ayant recueilli au moins 50 % des suffrages est dès lors supprimé. Le texte prévoit cependant une procédure de référendum des salariés pour valider les accords paraphés par un ou des syndicats représentant plus de 30 % des suffrages. Ces règles s’appliqueront, à partir du 1er janvier 2017, aux négociations sur le temps de travail, et, au plus tard le 1er septembre 2019, dans les autres domaines.

 

« Cette loi est une occasion manquée »

« Deux mesures prioritaires pour les TP de la loi “Travail” n’y figurent plus : le barème des indemnités prud’homales, et l’assouplissement de la durée du travail des apprentis mineurs, qui doivent suivre la réalité des chantiers. Dans un contexte de crise, cette suppression est une mesure anti-emploi : un employeur verbalisé pour non-respect de la durée du travail n’y reviendra plus. Nous sommes en revanche favorables à la primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail, qui donne de la souplesse au plus près du terrain. Cela ne contribuera de surcroît pas forcément à déconstruire ce qu’a fait la branche. »


Bruno Cavagné, président de la FNTP

 

 

« Les règles sur le licenciement économique sont satisfaisantes »

« Nous déplorons la suppression du plafonnement des indemnités prud’homales : les petites entreprises, dépourvues de service RH, peuvent commettre des erreurs en toute bonne foi. Or une condamnation judiciaire, en ces temps de crise, peut être fatale à l’employeur. Une entreprise de moins de 11 salariés pourra par contre licencier pour motif économique au bout d’un trimestre de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires. Nous appelions cette mesure de nos vœux, car les petites entreprises disposent de moindres marges de manœuvre que les plus grosses pour compenser une difficulté. »


Patrick Liébus, président de la Capeb

 

« Ce texte divise au lieu de fédérer »

« L’esprit de réforme du texte a volé en éclats. Ce projet de loi a fait trop d’allers et retours. Il ne reste ainsi plus rien du souci de simplification prôné à l’origine, et la volonté de donner un appel d’air en termes d’emploi a disparu. L’inversion de la hiérarchie des normes en matière de temps de travail risque, de plus, de créer du dumping social au sein d’une profession. Aussi, ce texte divise au lieu de fédérer. Bien sûr, il faut de la souplesse pour les entreprises, mais nous sommes très attachés à la branche : un socle commun doit protéger les salariés. Le dialogue social au niveau de la branche est parfois difficile, mais il a le mérite d’exister. »


Olivier Diard, délégué général de la FNSCOP BTP

 

 

« Des avancées sur le détachement »

« Les règles sur le détachement, comme le renforcement de la responsabilité du maître d’ouvrage et l’obligation de déclarer un accident du travail survenu à un travailleur détaché, correspondent à ce que nous avions demandé. Mais la nouvelle définition du licenciement économique, qui tient compte de la baisse du carnet de commandes, est peu adaptée au BTP, où il faut être très réactif. Nous émettons des réserves concernant le critère du nombre de trimestres à prendre en compte en fonction de la taille de l’entreprise. Ce qui importe est l’impact d’une situation, d’une commande. Il faut se désintoxiquer de cette manie française des seuils ! »


Jacques Chanut, président de la FFB

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29/07/2016