Une reprise du BTP progressive et partielle
 
 
Le domaine du bâtiment et des travaux publics a été particulièrement secoué par la crise sanitaire ces dernières semaines. Oscillant entre la nécessité de poursuivre ses fonctions essentielles et la protection indispensable de ses travailleurs, le secteur hésite sur la marche à suivre. Faut-il maintenir l’exécution des chantiers ? Les équipements de protection suffisent-ils ? Comment réorganiser le travail ? Sur ces matières, les avis divergent. Ministères, patrons et syndicats confrontent leurs opinions et planchent sur un redémarrage optimal du BTP.
 
La grande majorité des chantiers sont toujours à l’arrêt et les réouvertures sont souvent partielles
 
Mi-mars, à l’aube du confinement, le BTP demandait un gel des chantiers non-urgents, pendant une dizaine de jours, au gouvernement. Objectif : penser une nouvelle organisation de l’ensemble du secteur afin de maximiser la sécurité de tous les acteurs concernés. Face à la crise sanitaire, le BTP accusait une forme de désordre, du au flou des informations reçues et données, au manque de matériel de protection et aux absences pour cause de maladie.
 
Après quelques incompréhensions entre les fédérations patronales et le ministère du travail, un accord de fonctionnement a finalement été trouvé. L’ensemble des interlocuteurs se sont penchés, via la structure de l’OPP-BTP, sur la conception d’un protocole de reprise et d’un « guide des règles sanitaires ». L’Organisme Professionnel de Prévention du BTP a présenté le projet aux autorités fin mars. Celui-ci a été amendé et, ensuite, validé par les ministères impliqués et les fédérations patronales, mais rejeté par la majorité des syndicats.
 
Une reprise : avantages et inconvénients
 
Le secteur du BTP est pratiquement à l’arrêt depuis le début du confinement. On estime que 90% des chantiers ont mis fin à leurs activités. Bien que la protection des travailleurs soit indispensable, cette immobilisation a de nombreuses conséquences sur l’ensemble du système. Autour de la question de la reprise, s’affrontent divers arguments et points de vue, influencés par des réalités tout-à-fait distinctes. Pour les syndicats, la protection des 2 millions de travailleurs du secteur est une absolue priorité face à la pandémie du coronavirus. Il est difficile, pour les ouvriers, de croire en une exécution sécurisée de leur métier, dans ce contexte. Les syndicats exigent donc des garanties, du matériel et des engagements de la part des autorités.
 
Si la santé des travailleurs du BTP est, sans nul doute, l’un des facteurs essentiels à prendre en compte, les représentants du gouvernement ont d’autres arguments. Parmi les activités du BTP se trouvent des chantiers indispensables à la maintenance des réseaux, au fonctionnement des centrales nucléaires ou encore à l’entretien des éoliennes. La paralysie du secteur pourrait rapidement affecter la distribution des énergies aux entreprises et aux particuliers. Elle aura aussi des répercussions sur la gestion des déchets, les transports ou encore le logement. D’où l’urgence et l’importance d’organiser une reprise rapide et efficace, selon nos responsables politiques.
 
Les fédérations patronales du BTP – Capeb, FFB, FNTP et SCOP BTP, se positionnent en faveur d’une reprise sécurisée des activités du secteur. Elles ont participé à l’élaboration du guide sanitaire.
 
Le guide de préconisations de sécurité sanitaire
 
Les organisations professionnelles et le gouvernement se sont engagés, le 21 mars dernier, à proposer un outil favorisant la reprise du BTP dans les meilleures conditions possibles. Après de nombreuses négociations, un guide de bonnes pratiques a été présenté, le 2 avril, par l’OPP-BTP. Ce document a pour but de faciliter la mise en place de nouveaux protocoles de fonctionnement et d’organisation sur les chantiers.
 
Les recommandations développées visent à relancer l’activité professionnelle tout en protégeant la santé des travailleurs et de leurs clients. Cet outil propose des conseils et des lignes de conduite qui devraient permettre aux entreprises concernées d’adapter leurs modes de travail rapidement. Les types de chantiers et les structures d’entreprises étant extrêmement divers, chaque employeur conserve la liberté d’adapter ses pratiques en fonction des réalités du terrain. Le guide fonctionne comme un outil de référence, une base sensée orienter les décisions des entreprises en matière de protection de la santé.
 
Distance, équipements et nettoyage
 
Le guide contient des dispositions générales, applicables à l’ensemble de la population et largement diffusées par ailleurs. Elles définissent la bonne exécution des gestes barrières : maintien de la distance appropriée, nettoyage régulier et approfondi des mains, absence de contact entre les mains et le visage. Ces consignes couvrent également l’utilisation des équipements de protection, précisant les situations dans lesquelles le port du masque et des gants est conseillé ou vivement recommandé. Elles conseillent d’écarter rapidement les porteurs de symptômes et de les renvoyer chez eux. Les personnes appartenant aux catégories à risque sont également éloignées du terrain. Le guide insiste aussi sur la nécessité d’informer les salariés en toute transparence et de favoriser une communication fluide. Mention est faite d’une attention accrue à apporter aux risques habituels du métier, qui pourraient être plus importants pendant cette période de perturbation.
 
Le guide de préconisations de sécurité sanitaire s’attarde ensuite sur une longue série de consignes particulières, propres au secteur. Ces recommandations sont relatives aux fournitures à prévoir, au nombre de personnes pouvant travailler en même temps au même endroit, au nettoyage des locaux, à l’utilisation des véhicules et des engins, aux modalités d’organisation de réunions, aux situations spécifiques de travaux sur un site client ou chez des particuliers, etc. Chaque catégorie de conseils est largement détaillée et remplit un rôle d’éclairage et de guide des employeurs.
 
Des mécanismes alternatifs sont également proposés dans le cas où le chantier concerné ne permet pas l’application des préconisations sanitaires, comme l’activité partielle. La responsabilité finale de l’exécution de ces mesures est laissée aux entreprises ou aux clients, en charge de les adapter à leur réalité propre.
 
Gouvernement & patrons versus syndicats
 
Les ministères concernés, les fédérations patronales et l’un des syndicats – la CFDT - ont validé le guide de l’OPP-BTP. Ils considèrent que cet outil permettra d’assurer une sécurité satisfaisante pour la santé des travailleurs du secteur.
 
A l’opposé, la majorité des syndicats qualifient le guide sanitaire de « protection juridique des employeurs », jugeant ses recommandations trop ambiguës et facultatives. Il laisserait trop de liberté aux employeurs et le risque d’une grande inégalité dans l’application des mesures sur le terrain. Les syndicats s’opposent donc à la reprise du secteur dans ces conditions. Ils favorisent la relance prioritaire des chantiers urgents et l’organisation d’une discussion conjointe, entre les acteurs du secteur, pour préparer le déconfinement ultérieur.
 
Pendant ce temps, sur le terrain…
 
Sur le terrain, les réalités sont très diverses. Certaines entreprises relancent progressivement leurs chantiers, révisant leur organisation en s’appuyant sur les recommandations officielles. Les dispositions en vigueur dans le guide s’appliquent aisément à une partie des situations rencontrées. Pour nombre d’autres cas de figure, la mise en place de ces méthodes semble extrêmement compliquée. Ceci exige un délai de réflexion afin d’implémenter les adaptations nécessaires.
 
Dans les faits, la grande majorité des chantiers sont toujours à l’arrêt et les réouvertures sont souvent partielles. D’autres obstacles attendent les professionnels : la pénurie de masques, l’organisation des transports groupés ou le report des interventions par les clients eux-mêmes. En outre, l’application stricte des recommandations défendues par le guide va générer beaucoup de lourdeur et n’est applicable qu’à un pourcentage limité des activités. Beaucoup d’entrepreneurs sont, d’ailleurs, sceptiques et ne vont pas précipiter leur reprise.
 
De nombreuses discussions attendent donc encore les partenaires du secteur. L’objectif reste d’assurer une reprise progressive des activités en maximisant la sécurité des travailleurs. Mais l’organisation d’un soutien du BTP à long-terme, constitue également une priorité, afin de minimiser les effets économiques de la crise sanitaire.
 
 
08/04/2020